La louve

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La petite histoire que je vais te raconter, à toi qui me fait l’honneur de me lire, m’est arrivée il y a quelques longues années.
J’y pense souvent, comme à d’autres passages de cette partie de ma vie. Il suffit parfois d’une odeur portée parle vent, d’un bruit familier…

C’était en hiver. Mon père et moi remontions péniblement l’ancienne piste Bighorn pour rejoindre le Brazeau, cette vallée reculée des Rocheuses d’Alberta. Notre objectif était de passer les fêtes de fin d’année avec le vieux fou de Bill MCdiarmid. En espérant justement qu’il ne soit pas trop fou, après des semaines et des mois d’isolement dans sa cabane. L’année précédente, il nous avait accueilli à coups de fusils et en hurlant… Ancien tireur d’élite au sein de l’armée canadienne, blessé au combat, il nous avait confondu avec des flics venus l’embarquer pour l’interner…. « J’avais pas mes lunettes les amis. Vous avez eu chaud aux fesses » , nous avait-il expliqué plus tard, devant une bonne soupe et un café, une fois qu’il s’était rendu compte de sa méprise….

Je m’égare. La journée avait été dure. La neige tombée abondamment quelques jours plus tôt était désormais recouverte d’une croute cassante comme du verre. Un cadeau du Chinook, ce vent chaud remontant périodiquement du sud. Progresser dans ces conditions se résumait à quatre pas en avant à soulever des kilos de neige avec les raquettes et  deux en arrière, histoire de bien damer la piste pour les chiens et le traineau. Avec un sac à dos pesant son poids et un fusils en bandoulière, le corps et les nerfs sont soumis à rude épreuve. 

C’est dire si l’arrivée à notre étape en fin d’après-midi fut un réconfort tant pour nous que pour les 10 malamutes ayant tracté notre tente, fourneau et provisions.  Chimney Creek, un vieux village fantôme, datant du temps ou la piste Bighorn était encore empruntée par les Indiens et les prospecteurs pour remonter les foothills

Pendant que le père préparait le feu pour notre repas du soir et celui des chiens, je suis parti à la recherche d’arbres morts bien secs à abattre. La nuit s’annonçait très froide. Nous utilisons cette étape si régulièrement et depuis tant d’années, qu’il faut aller de plus en plus loin pour en trouver… 

Six chiens m’accompagnent. D’habitude, libérés leurs harnais, il en profitent pour courir dans tous les sens après les écureuils et les chevreuils, mais ce soir ils me collent aux talons et semblent inquiets.

C’est les croassements d’un corbeau tournoyant dessus de nos têtes qui va me mettre la puce à l’oreille. Ces derniers voyagent souvent avec les loups dans l’espoir de nettoyer leurs restes…  

Je me rends compte que je suis parti sans mon fusils… S’ils leur prenaient l’envie de se payer un de mes chiens je ne pourrais pas faire grand-chose… Je décide de rebrousser chemin… Pour le bois on verra plus tard. Au moment ou je pivote sur mes talons un je ne sais quoi attire mon attention. Visiblement celle de  Bear, Spike et Winnie aussi. Mes chiens se figent et regardent dans la même direction que moi.

Bear retrousse les babines en découvrant ses crocs.  Je fais quelques pas dans la direction en question m’enfoncant dans la neige jusqu’à la taille. Les chiens restent en arrière. Certains gémissent, d’autres grognent. J’avance en tenant fermement des deux mains le manche de ma hache…   

Soudain, à quelques mètres de moi, un loup gris de taille moyenne jaillit d’un trou dans la neige avant de s’écraser au sol la patte arrière visiblement prise dans un collet . Alors que je m’approche,  il se roule en boule, prêt à bondir. Il ne me quitte pas du regard. Les chiens restent en retrait. Sont-ils conscients du danger que représente pour eux cet animal. Visiblement c’est le cas mais je n’ai pas la tête à me poser ce genre de question. 

 Savoir cet animal pris dans ce piège et promis à une mort longue et douloureuse de faim et de soif, me révolte. Le vieux Bill, qui a piégé son lot de loups nous a souvent raconté comment certains se libéraient en se rognant la patte.

Je suis conscient qu’au Canada, relâcher un animal d’un piège est un crime, mais à quelques jours des fêtes personne ne passer avant longtemps… Et je ne suis pas certain que Dave Schmidt le trappeur local se rappel de l’existence de ce piège. D’habitude, cet abrutis balise le terrain de rubans rouges  pour se souvenir où ils sont.

Je décide d’aller en parler avec mon père. Ce dernier ne me laissera même pas finir ma phrase avant de dire « rien à foutre de l’autre con de Dave Smidt. On va libérer cette bête… Les loups sont nos frères, ajoute-t-il. Et on abandonne pas un frère en difficulté. En remontant la piste, nous élaborons un plan d’action. Étant le plus solide,  je me chargerai de maintenir l’animal plaqué au sol pendant que mon paternel, détachera le câble.  

Pour ce faire je compte sur une grosse sangle en cuir. Vu la distance qui nous sépare de tout lieu habité, il faut éviter de se faire mordre. La mâchoire d’un loup est faite pour  couper, arracher et broyer les os les plus coriaces…

Lorsque nous retrouvons le loup, il est toujours dans la même position. Respirant à peine. Nous l’approchons prudemment en lui parlant calmement. Ses yeux font des allers et retours de l’un à l’autre. Il respire à peine. Se recroqueville sur lui-même. J’arrive à passer la sangle en cuir par-dessus sont encolure sans geste brusque. Il ne bouge pas. Mes mouvements sont tellement lents qu’il aurait l’occasion de me mordre plusieurs fois. Mais étonnamment, il ne réagit pas. Se laisse faire. Mon père est agenouillé dans la neige et tente de défaire le nœud coulant. Le câble a entamé la peau de la patte. 

J’y arrive pas, dit mon père dont les doigts s’engourdissent avec la température que dégringole.

Attends je vais essayer, dis-je en lâchant la sangle maintenant l’animal au sol. Bizarrement, ce dernier ne bouge toujours pas. Son regard semble même apaisé.  J’arrive non sans mal a défaire le lien… Je lui masse sa patte qui semble raide.

C’est quoi ? demande mon père. Un mâle ou une femelle ? Je lui soulève délicattement la patte toujours raide. Une louve, regarde… je passe ma main sous son ventre couvert de  mamelles à peine gonflées. Elle semble avoir déjà eu une portée… ajoutais-je sans trop être sur de cette information.

Nous redressons tous les deux. Satifaits. La louve nous suit du regard. Mais elle ne bouge toujours pas.  Tu crois qu’elle est paralysée, qu’elle a quelque chose de cassé ? demandais-je à haute voix… Je sais pas réponds mon père. En face de nous,  Nos chiens ne perdent pas une miette du spectacle. Ils ne grognent plus. Certains se sont même roulés en boule, comme si nous allions passer la nuit là. 

Allez ma belle, dis-je à la louve, fais nous plaisir, sauve toi….  J’ai à peine terminé ma phrase qu’elle bondit et file droit devant perçant au passage en mur de six gros malamutes aussi surpris que terrorises pas cette initiative, avant de disparaître à jamais parmis les arbres….  

Cette même nuit, sa meute toute proche nous gratifiera de l’un des plus beaux concerts de hurlements jamais entendu… 

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