Quand Harry raconte Nesbo

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contributor_67001_195x320Rencontre avec la star du thriller scandinave, le Norvégien Jo Nesbo, qui publie un nouveau volet des aventures de son inspecteur Harry Hole, alors que sort le film adapté de son roman « Le Bonhomme de neige ».

Du Norvégien Jo Nesbo, 57 ans, grand, sec, blond, élégant, félin, barbe de trois jours, jeans délavés, baskets, frappe d’emblée l’allure de star du rock ou du foot. On pense à Bono, le chanteur du groupe U2, à Sting ou au footballeur David Beckham… Jo Nesbo est bien une star, mais du polar, avec plus de 30 millions de romans vendus pour la seule série mettant en scène son inspecteur Harry Hole, des traductions dans plus de cinquante langues… Mais il est également guitariste, compositeur et chanteur, membre avec son frère d’un groupe qui enchaîne les tournées en Norvège. Pour ce qui est du football, il fut sacré en 1978 meilleur joueur norvégien, avant qu’une rupture des ligaments du genou ne mette un terme définitif à ses rêves de carrière professionnelle.

Pour quelques jours, la star est à Paris, à l’occasion de la sortie très attendue de son dernier roman, La Soif, où on retrouve pour la onzième fois le célèbre inspecteur Harry Hole (lire ci-dessous). Jo Nesbo, généreux et inspiré, raconte une enfance dans une famille où l’on adorait raconter des histoires, où l’on aimait les livres (sa mère était bibliothécaire, son père en faisait la collection), et ses premiers pas tardifs dans la littérature policière à 37 ans. Il a multiplié les expériences dans des domaines variés : analyste financier, courtier, journaliste économique… Passionné par la Thaïlande, il y passe une partie de l’année et pratique, entre autres sports, assidûment l’escalade, son remède ultime pour déconnecter. « Lorsqu’on grimpe, on ne peut penser qu’à ce que l’on fait. La concentration doit être au maximum, en particulier lorsque l’on est comme moi sujet au vertige. »62888

Une contradiction qu’il partage avec Harry Hole (prononcez « Houlé ! »), né en 1997 avec L’Homme chauve-souris (Folio). À son sujet, il est intarissable. Il lui doit énormément. Dès leur première aventure, le succès a été au rendez-vous. Ce premier épisode a obtenu le Glass Key Award, attribué au meilleur roman policier de l’année. Depuis vingt ans, les états d’âme de cet inspecteur bourru, aux méthodes peu orthodoxes, fascinent autant les lecteurs que son créateur, qui adore pourtant le mener au bout de lui-même.

Selon Jo Nesbo, ce qui le rend passionnant, ce sont ses contradictions. La plus étonnante étant son rapport avec la société et le modèle social scandinaves. « Harry se définit comme un officier de police, défenseur de la démocratie sociale scandinave, mais on le sent souvent très proche des criminels qu’il poursuit. Il totalise certainement plus de victimes que la plupart des tueurs qu’il poursuit. »

Et pour ce qui est des contradictions, la vie personnelle de l’enquêteur n’est pas en reste. En apparence assagi et en paix avec ses démons dans le début de La Soif, il mène avec la personne qu’il aime une vie douillette qui ne lui convient pas. « Harry Hole est-il vraiment équipé pour le bonheur et l’harmonie ? demande Jo Nesbo. Je ne le crois pas. L’alcool reste un problème difficile à gérer. Le titre La Soif fait bien évidemment référence au vampirisme, autrement appelé syndrome de Renfield, dont est atteint le tueur, mais il évoque également les problèmes d’alcoolisme de Harry Hole, sa soif d’amour, de reconnaissance de la part de ses collègues et de ses proches. »

À la question fatidique sur la part de vécu présente dans son personnage, Jo Nesbo répond : « Il y a beaucoup de moi dans Harry Hole. Même si ce n’est pas ce que je voulais au départ. Nous passons tellement de temps ensemble qu’on finit par se ressembler. Lorsqu’on est en tournée à l’étranger et qu’on se retrouve à parler d’un livre que l’on a écrit cinq ans plus tôt, c’est là qu’on se rend compte que ce que Harry endure ou vit est souvent en lien avec ce qu’on vivait au même moment. »

 

Harry Hole saison onze

La Soif
de Jo Nesbo
Traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier
Série Noire, 606 p., 21 €

Une jeune femme est assassinée dans son appartement d’Oslo en Norvège. Un meurtre peu ordinaire. La victime présente d’étranges marques de morsures à la gorge causées par des dents métalliques. Elle a perdu beaucoup de sang. Quelques jours plus tard, une seconde victime est découverte avec la même mise en scène macabre. Un prédateur assoiffé de sang humain rode en ville. Pour la hiérarchie de la police d’Oslo, seul l’ex-inspecteur Harry Hole sera capable d’élucider cette étrange affaire de « vampirisme » avant que les victimes ne se multiplient et que la panique ne gagne la population.
Mais ce dernier, aujourd’hui enseignant à l’École supérieure de police, coule des jours paisibles avec son épouse. Le vieux flic bourru, intuitif, désabusé, alcoolique et accro à la nicotine que l’on connaît lit désormais les pages culture dans la presse et semble avoir fait la paix avec ses vieux démons. C’est dire s’il hésite à s’occuper de cette affaire qui risque de le faire basculer dans un monde qu’il ne connaît que trop bien. Toutefois, lorsqu’il se rend compte que ces meurtres sont liés à la seule enquête de sa carrière non résolue, son choix est vite fait.

Après quelques piétinements liés à la mise en place de l’intrigue, le rythme s’accélère furieusement, avec des rebondissements à la pelle. On retrouve, ou découvre, l’univers brutal de l’auteur, les bas-fonds d’Oslo, la ville où Jo Nesbo et né et qu’il connaît intimement, ces personnages d’une complexité réjouissante et un Harry Hole plus que jamais au bord du gouffre.

Colson Whitehead nous raconte l’histoire américaine vue d’un train fantôme

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Couronné par le Pulitzer et le National Book Award, Colson Whitehead explore les rouages du racisme aux États-Unis, mêlant allégorie, réalisme, politique et philosophie.

Underground Railroad,
de Colson Whitehead,
Ed. Albin Michel (Collection Terres d’Amérique)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Serge Chauvin,  402 p., 22,90 €

Portée par Cora, une émouvante et courageuse jeune esclave, l’histoire débute en Géorgie, dans une plantation de coton quelques années avant la guerre de Sécession. Abandonnée par sa mère, qui s’est enfuie quelques années plus tôt, la jeune fille survit confrontée quotidiennement à la cruauté et à la brutalité de ses « maîtres ».

On ne sait pas vraiment son âge : « Seize ou dix-sept ans. C’était l’âge que se donnait Cora. Un an depuis que Connelly lui avait ordonné de prendre époux. Deux ans que Pot et ses amis l’avaient fait mûrir de force. » Caesar, esclave dans la même plantation, lui propose de fuir avec lui : elle refuse puis se laisse convaincre.

Les premières pages, superbement écrites, reviennent judicieusement sur l’effroyable histoire de la grand-mère de Cora arrachée à sa terre africaine natale. On assiste à son arrivée en Amérique du Nord où elle passe entre les mains d’une multitude de propriétaires qui, les uns après les autres, impriment sur sa chair leur marque au fer rouge…

Une entrée en matière nécessaire sur les origines de ce mal qui empoisonne l’Amérique et dont les Indiens ont été les premières victimes comme le rappelle régulièrement l’auteur.

Le roman plonge ensuite dans une autre dimension, mêlant romanesque, fantastique, politique et philosophie, lorsque Cora et Caesar décident de fuir à bord de l’underground railroad (chemin de fer clandestin). Un vaste réseau mythique, à qui l’auteur donne corps en le présentant métaphoriquement comme un réseau ferré souterrain, avec des chefs de gare, des trains.

Dans la réalité, ce réseau formait un ensemble de routes secrètes à travers l’Est du pays avec des moyens de transport, des lieux d’accueil et d’assistance gérés et organisés par des abolitionnistes.

Pour Cora et Caesar débute alors une longue fuite par étapes quasi initiatiques vers les États du Nord et une hypothétique liberté avec un redoutable chasseur de primes et son équipe aux trousses… Une errance éprouvante, pavée de nombreux morts et de souffrance à travers différents États. Les moments de répit seront rares, les illusions particulièrement cruelles et l’Amérique abolitionniste pas toujours aussi exemplaire que l’on aimerait le croire.

Les personnages sont profonds, magnifiques, émouvants. Ils sont également terrifiants, comme ce chasseur de prime blanc sûr de sa mission, ou encore son acolyte au collier d’oreilles et l’énigmatique Homer…

Avec une narration remarquablement maîtrisée et originale, l’ensemble est une fascinante métaphore de cette histoire constitutive de l’identité américaine qui éclaire son actualité récente marquée notamment par l’élection de Donald Trump, les manifestations de l’extrême droite identitaire à Charlottesville en ­Virginie ou les innombrables bavures policières visant des ­Africains-Américains.

Procrastination quand tu nous tiens

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Oui je sais. Ce n’est pas bien. Il ne faut jamais remettre à demain… Vous connaissez la suite. Moi aussi. Et pourtant, j’ai ce gros défaut. Prenons ce petit billet. Je l’ai commencé il y a trois semaines puis abandonné après avoir regardé sur internet ce que ce défaut traduisait de ma personnalité, avant de le reprendre hier et de le terminer aujourd’hui (au lieu de m’occuper d’un article que je dois rendre !)

IMG_0051Autre exemple : les livres. J’en reçois beaucoup, j’en lis autant que possible. Souvent, ils finissent dans une pile avec la promesse d’y revenir et d’en parler. À force la pile s’agrandit, devient une montagne qui finit par s’écrouler. Je suis pourtant si fier de moi lorsque j’arrive à boucler une critique ou un billet en un seul jet. Mais pour je ne sais quelle raison je finis souvent par mettre de côté ce que je fais en me disant : « laissons reposer j’y reviendrai demain…

Demain… Combien de choses ai-je remises au lendemain depuis que je suis sur cette terre ? Combien de kilos ai-je pris en me disant demain je me mets au sport. Combien de rencontres ou d’occasions ai-je manquées en me disant j’appellerai demain… Et je ne vous parle pas des démarches administratives…

Mais rien n’est jamais vraiment perdu… La preuve : depuis près de trois ans je fais du sport tous les jours (même si, je l’avoue, je m’y mets souvent en fin de journée). Mais surtout car là est l’essentiel, depuis trois ans, je me refuse de rater une occasion de passer du temps avec mes enfants. Non seulement ces derniers grandissent vite et quittent le nid sans crier gare, mais il arrive également qu’ils prennent des décisions aussi mystérieuses que radicales qui vous privent définitivement de leur présence vous laissant seul avec vos regrets…

Pour le reste,  les broutilles quotidiennes,  c’est promis à partir de demain je ferai un effort…

Dans l’intimité d’une petite ville de l’Amérique profonde avec Alan Watt

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Dans ce premier roman, l’auteur canadien Alan Watt nous propose un huis-clos sombre et poignant au coeur d’une petite ville de l’Ouest américain.

Alan Watt

Frontier Hotel,
d’Alan Watt
Traduit de l’anglais (Canada) par Claire Breton, Éd. du Masque, 348 p., 22 €

Alice, la quarantaine approchant, se pose une multitude de questions existentielles. En apparence, elle a tout pour être heureuse. Un mari fortuné, une vie confortable dans un quartier huppé de San Francisco… Mais tout cela ne lui convient plus. À commencer par la relation avec son mari, de 19 ans son aîné, une vedette du rock vieillissante qu’elle ne supporte plus. Treize ans à faire semblant d’aimer quelqu’un, c’est long ! Profitant de son absence, elle décide de le quitter.

N’ayant nulle part où aller, elle décide de retourner chez ses parents dans le nord-ouest des États-Unis, même si elle est consciente que ces derniers feront tout pour qu’elle change d’avis. En cours de route, alors qu’elle tente de réserver une chambre dans un hôtel, ses cartes de crédit sont refusées ; son mari lui a coupé les vivres. Il lui reste à peine de quoi passer une nuit au Frontier Hotel, un établissement miteux de la petite ville de Waiden dans l’Oregon.

À partir de là, elle va devoir se débrouiller seule et se trouver un travail pour se nourrir et se loger. Dans les jours qui suivent, elle croise une multitude de personnages dont Webb Cooley, l’employé taciturne d’une épicerie dont la ville semble se méfier et que certains traitent comme un pestiféré. Très vite, ils se lient d’amitié. Dans ce roman, que l’auteur dit avoir mis plus de quatorze ans à écrire, il est beaucoup question d’amour, de confiance, de foi, de pardon et de secret. C’est poignant, sombre, surprenant, subtilement pesant, remarquablement rythmé par un enchaînement de chapitres courts avec du suspense jusqu’aux dernières lignes.

L’auteur, romancier, peintre, scénariste, essayiste, acteur canadien d’origine écossaise nous invite à entrer dans l’intimité d’une bourgade sauvage de l’Ouest américain où personne n’a de secret pour personne, où ce qui est différent ou étranger est forcément suspect, où les rancœurs sont tenaces. Avec finesse, il évoque toutes sortes de problèmes de société auxquels les habitants sont confrontés et où la situation peut basculer sans crier gare.

Les allers et retours reprennent

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#SNCF MON AMOUR, de Valérie Duclos.
Éd. Michalon. 260 p., 18 €

Les vacances sont terminées. Lundi j’ai fait mon premier aller et retour de la semaine avec plein de beaux souvenirs dans tête…

Quelques jours avant de me relancer, comme pour me motiver, je suppose, j’ai jeté un oeil sur les chroniques de Valérie Duclos avec laquelle je partage un certain nombre de points commun, nous sommes journalistes (elle dirige le service art de vivre de Version Femina!), parents et  surtout usagers intensifs de la SNCF…   Depuis dix ans, elle prend chaque jour  le train à Rouen en direction de Paris Saint-Lazare à 7 h 59.

Dans un savoureux recueil de chroniques #SNCF MON AMOUR, elle raconte ses aventures et autres « épreuves en tout genre qui n’ont pas manqué » : retards, grèves, les incivilités diverses et variées des autres usagers…

Si ses aventures me sont pour beaucoup familières au point d’avoir  l’impression de lire mes propres chroniques (les fautes en moins et le talent en plus), j’en recommande chaudement la lecture.  C’est plein d’anecdotes,  d’humour,  d’autodérision et bien écrit.

La collection de poche, La petite Vermillon réédite du noir de derrière les fagots

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Voilà une initiative qui devrait convaincre ceux qui en douteraient encore que le roman noir est de la littérature au même titre que la blanche… La petite vermillon, la collection de poche des éditions La Table ronde qui publie notamment Antoine Blondin ou encore Robert Louis Stevenson, entreprend de rééditer des  auteurs « classiques » de ce genre trop souvent  sous-estimé.

Le romancier, critique, poète et essayiste Jérôme Leroy, a été chargé de la sélection des  auteurs…. Les quatre premiers titres publiés avec de superbes couvertures illustrées par Stéphane Trapier sont Le sourire contenu, de Serge Quadruppani, (8,50 €)  La nuit myope d’ADG (5,90€) , la Princesse de Crève, de Kââ (8,70 €), et la Langue chienne d’Hervé Prudon (8,70 €), montrent la richesse de ce genre qui ne saurait se limiter au roman policier ou au thriller.

Une première salve de noir très noir mais plein d’humour, d’anti-héros, de causticité et de mauvais esprit…

 

 

Carl Nixon explore les tensions communautaires dans la Nouvelle-Zélande d’aujourd’hui

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Sous la terre des Maoris,
de Carl Nixon, Éd. l’aube noire.
Traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande)
par Benoîte Dauvergne. 328 p., 22 €

Quelques jours après son suicide, les Saxton, terrassés par la douleur et les questions sans réponses, souhaitent enterrer leur fils adoptif, Mark, 19 ans, dans le cimetière familial proche de la ferme où il a grandi. Son père biologique, un chef maori qui jusqu’à présent ne s’est pas manifesté, débarque et exige que son fils soit inhumé dans sa communauté d’origine comme le veut la tradition.

Devant le refus catégorique des Saxton, il subtilise le corps avec des membres de son clan. Sachant que ses chances d’obtenir l’aide des autorités est mince, Box Saxton, un maçon, se lance dans une expédition désespérée pour récupérer son fils adoptif et le ramener à la maison.

Ce premier roman poignant, explore, avec finesse et intelligence, les rapports extrêmement tendus avec la communauté autochtone de Nouvelle Zélande et l’incapacité à communiquer. Alors qu’il serait facile de se focaliser sur le chagrin des Saxton, qui ont élevé ce garçon comme le leur, l’auteur arrive à montrer la complexité de la situation, en donnant la parole à tous les acteurs de ce drame, même si, il faut l’avouer l’ensemble nous laisse un peu sur notre faim une fois la dernière page tournée.

L’hymne à la taïga de Victor Remizov

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9782714468949Volia Volnaïa,
de Victor Remizov.
Éd. Belfond.
Traduit du Russe par Luba Jurgenson.
388 p., 21 €

Ce roman, ouvert, je dois l’avouer un peu au hasard, vous embarque dans un monde aussi paumé que rude aux confins de la Sibérie extrême-orientale, sur les rives de la mer d’Okhotsk. Dans cette région russe les hommes survivent grâce à la chasse, à la pêche et en vendant des fourrures.

Mais les temps changent avec toujours plus de règlementations et d’interdictions. Notamment depuis la dissolution de l’Union soviétique. « Avant, écrit l’auteur, la région était sept fois plus peuplée. La vie était alors… plus dure, ou au contraire meilleure, ceux qui savent ce qu’est la belle vie n’ont qu’à trancher, toujours est-il qu’elle était plus simple. Dans les petits bourgs de pêcheurs dont la plupart étaient désignés par des numéros, on attrapait et on salait du saumon et du hareng à profusion, de quoi constituer des réserves pour une vie entière. Il y avait un port avec des bateaux de pêche et d’autres embarcations rouillés, à la peinture écaillée. La coopérative achetait aux chasseurs écureuils, zibelines, loutres, ainsi que de la viande de caribou et d’élan. […] Les salaires étaient versés, les internats, jardins d’enfants et crèches marchaient tant bien que mal, les tuyaux de chauffage cassés finissaient par être réparés, même si c’était avec du retard. […] Les gens tiraient subsistance et chaleur essentiellement de leurs potages, des rivières et de la forêt, aussi croyaient-ils leur avenir assuré.  »

Petit à petit les conditions se sont dégradées : « On cessa de virer les salaires, les entreprises fermèrent les unes après les autres. Les bateaux disparurent du port, les équipes de pêcheurs désertèrent la rive. Ceux qui avaient où aller et qui se sentaient capables de vivre ailleurs partirent. D’autres supportaient tout. Ils avaient beau pester contre les autorités, le lointain pouvoir moscovite… que pouvaient-ils faire ? Les gens proches de la nature – et il n’y avait pas plus proche de la nature que le bourg de Rybatchi – savaient parfaitement que la vie suivait son cours naturel, à l’instar de la grande rivière rebelle au bord de laquelle ils vivaient. On ne pouvait ni l’arrêter ni lui faire rebrousser chemin. Il fallait attendre comme pendant les crues. »

En attendant d’hypothétiques jours meilleurs et pour s’affranchir des règlementations en place, les gens du village se résigneront pendant des années à payer des pots-de-vin aux autorités locales chargées de les faire appliquer. Jusqu’au jour où l’un de leurs chefs décide d’appliquer la loi destinée aussi à protéger des espèces en danger et que l’un des chasseurs refuse de céder et de fuir dans la Taïga déclenchant une chasse à l’homme…

Nous n’en dirons pas plus sur ce roman passionnant sinon qu’il s’inscrit dans la littérature de ce pays, avec des héros viscéralement attachés à la nature sauvage qu’ils habitent et partageant le même goût immodéré de la vodka… On voyage à pied ou à bord de véhicules d’un autre temps à travers l’immensité de la taïga, ces fleuves immenses, ses forêts de mélèzes…

L’auteur nous décrit avec intelligence, finesse et humour, une Russie post-soviétique, entre traditions et modernité, liberté et contrainte, gangrénée par des pratiques mafieuses. Et pour cause, il connait parfaitement cet univers. Pendant des années, il a travaillé en tant que géomètre expert dans la taïga, avant de se tourner vers le journalisme et l’enseignement de la littérature russe. Volia Volnaïa est son premier roman, en cours de traduction dans de nombreux pays. Victor Remizov vit à Moscou avec sa famille et travaille à son deuxième roman.

Petite sélection de romans pour les fêtes

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la-tendresse-de-l-assassinLa tendresse de l’assassin,
de Ryan David Jahn. Ed. Actes Sud Actes Noirs.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Vincent Hugon. 272 p., 22€

En 1964, à Dallas, un tueur fait irruption dans un appartement privé où il tue froidement et méthodiquement un couple sous les yeux d’un nourrisson, qui est son fils.

Vingt-six ans plus tard, ce dernier qui se souvient des moindres détails de ce jour dramatique, décide d’éliminer l’assassin dont il connait l’identité.

L’ancien tueur à gage a refait sa vie à Louisville où il gère une librairie. Au moment où ils se rencontrent un détective privé débarque et menace de révéler l’identité de l’ancien tueur à gage. Ce dernier se voit contraint de reprendre du service. Andrew obsédé par son désir de vengeance profite de cette occasion pour demander à son père de lui apprendre à tuer…

L’auteur de l’excellent Emergency 911,(Babel Noir), nous embarque dans une histoire qui peut sembler tirée par les cheveux racontée ainsi… Il n’en est rien. Alternant les allers et retours dans le passé, l’auteur nous propose un polar passionnant, intelligent et émouvant.

butchers-crossingButcher’s Crossing,
de John Williams. Éd. Piranha.
Traduit, traduit de l’anglais (États-Unis), par Jessica Shapiro. 296 p.,

Dans les années 1870, le jeune et enthousiaste Will, universitaire disciple de Ralph Waldo Emerson, décide de tenter la grande aventure dans l’Ouest sauvage. Parvenu à Butcher’s Crossing, une bourgade du Kansas, il se lie d’amitié avec un chasseur de bisons qui lui raconte ses exploits. Quelques semaines plus tard, il arrive à le convaincre de le laisser participer à une expédition dans une vallée inexplorée des montagnes du Colorado où se cacherait un troupeau… Il contribue même à son financement pour accélérer les choses… Une fois sur place, ils se retrouveront coincés par l’hiver…

Un petit roman dynamique qui entraîne le lecteur dans une étonnante et meurtrière partie de chasse dans des paysages à couper le souffle.

Le texan John Williams (1922-1994) est l’auteur de deux recueils de poésie et de trois romans fascinants : Butcher’s Crossing, Stoner et Augustus, couronné du National Book Award. Tombée dans l’oubli pendant presque quarante ans, son œuvre romanesque a été redécouverte dans les années 2000 grâce à la New York Review of Books aux États-Unis et à Anna Gavalda en France. Depuis, Butcher’s Crossing a été traduit dans une quinzaine de langues.

cvt_le-garcon_4265Le garçon,
de Marcus Malte.
Éd. Zulma. 544 p., 23,50 €

Marcus Malte, auteur d’une dizaine de romans et notamment de l’extraordinaire « Garden Of Love », n’a pas son pareil pour surprendre les lecteurs. C’est une fois encore le cas avec ce nouveau roman couronné par le prix Femina cet automne.

Le récit débute en1908 et se termine en 1938. Entre fresque historique et roman d’initiation, il raconte l’étonnante histoire d’un garçon quasi sauvage. Lorsque nous le découvrons, il vit dans le plus complet dénuement avec sa mère dans une contrée aride du sud de la France. Des humains, il ne connait qu’elle. Du monde, que les alentours de leur cabane. Lorsque sa mère, malade, meurt on l’imagine perdu. Il n’en n’est rien, il décide de partir à la découverte de l’inconnu. Il multiplie les rencontres et les expériences, bonnes et mauvaises, se retrouve confronté à l’horreur de la guerre.

Ce roman est époustouflant, qu’il s’agisse de la richesse lexicale, du rythme, et du style délicieusement anachronique… Le prix fémina qui l’a couronné à l’automne était plus que mérité.

ppm_medias__image__2016__9782226393081-xLa vie Idéale,
de Jon Raymond. Éd. Albin Michel.
Coll. Terres D’Amérique. Traduit de l’anglais (États-Unis), par Nathalie Bru.
318 p., 24 €

Damon et Amy, quittent Los Angeles pour aller vivre et travailler dans une ferme bio dans le Nord Ouest, étrangement baptisée Rain Dragon, le dragon de pluie. On y pratique une agriculture raisonnée. Au programme pour ce couple de trentenaire et les autres pensionnaires, « retourner à la terre » et « revenir à l’essentiel ».

Une expérience qui commence bien pour Amy qui s’intègre très rapidement à l’équipe et un peu plus difficilement pour son compagnon, moins enthousiaste. Le couple s’éloigne petit à petit.
On retrouve dans ce roman original, admirablement bien écrit, l’ambiance et les thèmes déjà présents dans Wendy et Lucy, un remarquable recueil de nouvelles publiées dans la même collection.

Un roman intelligent, au juste, équilibré, lyrique qui interroge sur les méthodes et les objectifs de ces projets alternatifs qui attirent tant de jeunes en quête d’un idéal de vie et qui révèle les malaises contemporains.

L’hommage à la boxe de Daniel Rondeau

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Avec pas mal de retard (j’ai lu cet essai avant l’été!) j’invite à découvrir ce remarquable essai de Daniel Rondeau, sur la boxe, un sport que cet écrivain à commencé à pratiquer il y a une dizaine d’années,  « à l’âge où les autres décrochent,  » à 56 ans…


daniel-rondeauBoxing-club,
de Daniel Rondeau,
Éd. Grasset. 134 p. , 14 €

« La passion de la boxe m’a frappé sur le tard et sans avertissement », écrit Daniel Rondeau dans le chapitre qui introduit ce remarquable petit essai sur le noble art.

Il commencé à pratiqué  ce sport à 56 ans. Et  depuis, il s’entraîne « dans une grange » où il a pendu son sac. « Une petite séance de décrassage quotidienne, seul. Et une fois par semaine, plus longuement, avec le coach «  , Jérôme Vilmain, du Boxing-club d’Epernay, au coeur du Pays de Champagne.

Un sport et une pratique, explique-t-il toujours dans « l’introduction », qui lui « aère la tête », « libère » en lui une « force insoupçonnée » et lui « confère un sentiment de légèreté ».  La boxe lui « donne du punch pour m’installer , affuté, à ma table de travail. »

Dans  ce livre surprenant d’une centaine de pages, l’auteur, Lorrain de naissance, ex-diplomate,  éditeur, ancien journaliste parle de son lien avec la boxe et ses vedettes, de sa représention dans la littérature, mais aussi et surtout des boxeurs (hommes et femmes), des entraîneurs,  du rapport avec la douleur,  le dépassement de soi, la recherche du geste parfait, « du courage qu’il faut pour gagner et aussi pour perdre, de la « courtoisie » du vainqueur et de la « générosité » du vaincu, des souffrances « inédites », du sac de frappe (« miroir du boxeur »),  qui vous « renvoie vos faiblesses »… 

Le rôle social du noble art est également à l’honneur à travers les initiatives de Jérôme Vilmain, le coach de ce modeste club aux résultats  étonnants.  Ce petit livre vif et subtile sur ceux qui « dansent avec leurs ombres » pour parfaire leur technique est un très bel hommage à ce sport.