L’homme

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Comme le disait souvent ma grand-mère, paix à son âme, les bonnes habitudes se perdent…. Pendant des années, le bush du grand nord canadien était une terre où un être pouvait disparaître. A cette époque, la règle non écrite était : Quand tu croise un type dans le bush, offre lui l’hospitalité, mais ne lui demande jamais qui il est, d’où il vient et où il va. Tu lui laisse te dire ce qu’il a envie de te dire ou ne pas te dire… De moins en moins de personnes respectent cette règle pourtant simple… Parfois à leur dépends...

L’homme s’arrête. Il tend l’oreille en se redressant sur sa selle, Bascule la tête en arrière, inspire profondément en retenant son souffle, puis expire doucement, de gros nuages moutonneux filent vers le nord… A en croire le Chinook, qui se faufile par bourrasques imprévisibles entre les bouquets de peupliers trembles et les pins de lodgepole, des cavaliers remontent la piste Bighorn. Ils avancent dans sa direction.

La monture de l’homme a elle aussi a entendu. Il lui caresse l’encolure, se penche en avant et lui susurre quelques mots apaisants.  Tout doux ma belle… Tout doux…

Laissons-les approcher, sourit-il.

Plus l’effet de surprise sera grand plus cela sera facile pour lui. Il sourit à nouveau. Un mélange de soulagement, de satisfaction et de plaisir. Ces types ne peuvent pas mieux tomber il commençait à manquer de provisions et de munitions. Et un cheval de plus ne sera pas du luxe. Ils ne le savent pas encore ce qu’il leur réserve. Mais lui en sourit déjà. Les affaires reprennent… Approchez les gars, approchez…

Moose

Moose, Hey Moose, wanska (1), réveille toi. C’est l’heure…

J’ouvre un œil, puis le deuxième et sorts la tête de mon sac de mon couchage. Paul, le fils cadet d’oncle Joe se tient au dessus de ma tête. Ses cheveux sont déjà impeccablement tressés encadrant sa bouille ronde et hilare…

L’heure de quoi ?  Je ronchonne. 

De te lever frangin. Le viel homme veut qu’on aille lui chercher du bois de chauffage et qu’on aille ensuite rassembler les chevaux qui se baladent encore dans la forêt. Alors lâche ta queue, ramasse tes chaussettes et secoue ton gros cul mou de blanc, rit-il… Je t’ai apporté du café chaud, du bannock (2) au beurre de cacahouète et à la confiture de framboise…  

Oh merci ma princesse….

La ferme et lève-toi gros fainéant.  Si tu veux te taper une princesse, y a la grosse Eva, elle sera heureuse de s’occuper de toi….  Il éclate de rire.

Une demi-heure plus tard, nos tronçonneuses, un bidon l’huile de chaîne et deux autres de mélange, bien calés sur la plateforme du pick-up, nous fonçons sur la piste en direction des montagnes soulevant dans notre sillage un épais panache de poussière et de gravillons.  Le soleil est radieux. Notre objectif la forêt brûlée à une vingtaine de kilomètres du camp.  Le bois sec y est abondant et à portée de véhicule. 

T’as quoi comme musique ? je demande à Paul, qui slalome entre les nids de poules et autres obstacles sur notre trajet, histoire d’épargner les amortisseurs.

Regarde dans le vide-poche. 

Le premier CD qui me tombe dans la main est une compilation des Mountain Soul singers, les chanteurs traditionnels du camp. 

Bon choix, frangin, sourit Paul sans quitter la piste des yeux. Rien de tel que des chants de pow wow avant d’aller bosser.  Monte le son frangin… 

Alors que je me penche en avant, je vois au loin, des gyrophares.

Photo de kat wilcox sur Pexels.com

Des flics, dit Paul en levant le pied. Mais qu’est-ce qu’ils foutent ici ? 

Nous arrivons à leur hauteur. Deux gros SUV de la RCMP (3) sont garés en travers de la  piste. 

Un moustachu blond, en tenue d’intervention, avec une arme automatique en bandoulière, nous fait signe de nous arrêter. Lorsque nous arrivons à sa hauteur, Paul descend sa vitre en souriant mais inquiet. 

Bonjour dit le flic, en nous ordonnant de couper la musique.  

Vous venez d’où? Vous allez où ?  Son regard suspicieux scanne l’intérieur de notre habitacle. Un de ses trois collègues fait le tour de notre camion, soulevant la bâche couvrant notre matériel…

A la forêt brulée, après Muskiki lake, répond Paul. Couper du bois de chauffage. 

La route est fermée, dit l’agent qui semble peu disposé à être conciliant.  

C’est quoi le problème ? je lui demande en me penchant légèrement dans sa direction.  

Un individu a agressé armes au poing, deux gardes chasse en patrouille équestre hier en fin d’après-midi le long du Brazeau. Il leur a subtilisé leurs chevaux, armes, provisions et même leurs chaussures.  Vous devez faire demi-tour.  Va falloir aller chercher du bois ailleurs… Une chasse à l’homme est en court sur tout le secteur. 

Nous n’insistons pas. 

Une vingtaine de minutes plus tard nous sommes de retour au camp. Oncle Joe, ma tante et mes cousines sont dans l’enclos aux chevaux devant sa maison…  Nous leur répétons ce que les flics nous ont raconté. Joe nous écoute d’un air pensif.

En chassant hier soir vers Flapjack Lake, Floyd Beaver Bone est tombé un cadavre de cheval recouvert de branches et de mousse, nous raconte-t-il soudain.  On se demandait justement, poursuit-il, qui se donnerait la peine de masquer un cadavre de cheval en forêt à part quelqu’un qui ne souhaite pas qu’on le trouve …. 

C’est peut- être le type qu’ils cherchent, dit Lorn le frère aîné de Paul.  Ca veut dire qu’il est dans le coin, ajoute ce dernier.

Joe hausse les épaules avant d’ajouter « en tout cas faut qu’on verifie… S’il vient ici, il sera accueilli comme il se doit…  

Paul, Lorn, rassemblez les chevaux avant la nuit, ordonne Joe en s’adressant à ses deux fils en Cree. Moose, tu viens avec nous on va aller faire un tour le long du Brazeau avec Bob et Elmer.  Le sol est meuble, il a plu toute la nuit. S’il est passé dans le coin,  il y aura des traces… Prends ton fusil avec toi.  Tu peux monter Hector, conclue-t-il en pointant un doigt en direction le bai foncé attaché devant sa maison, déjà sellé et harnaché.

Une demi-heure plus tard, je retrouve l’oncle Joe, devant le petit cimetière à l’entrée ouest du camp, flanqué de  Paul et Lorn armés jusqu’aux dents. Sans dire un mot, nous prenons la direction du  Brazeau en coupant à travers la forêt.  L’oncle Joe trotte en tête ne quittant pas des yeux le sol. Sa carcasse vieillissante dodeline de droite à gauche alors qu’il se penche à la recherche de traces…  Parfois il s’arrête pour écouter nous demandant de ne pas faire de bruit. Quand il s’adresse à nous, il chuchote. 

La forêt est parfaitement silencieuse. Nous sommes à l’affut du moindre signe. 

(À SUIVRE)

(1) Debout e cree.

(2) Pain traditionnel

(3) Police royale montée canadienne

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