Confinés : la nuit je rêve de grands espaces

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La nuit lorsqu’il m’arrive de dormir, je m’envole souvent dans les paysages de mon enfance. Ces années passées dans les immenses espaces de l’Ouest et du Grand Nord canadien. Titillé par la lecture de Sauvage (dont j’ai fait une petite chronique). J’y ai passé la nuit…

Arraché au sommeil, par les hurlements d’un coyote, il me faut quelques minutes pour réaliser où je suis. Il fait encore nuit. Je sors le bras de mon sac de couchage et cherche à tâtons dans une de mes chaussures ma montre. Sept heures du matin. 

J’allume une bougie posée sur un billot de bois à ma tête. Profitant de la petite flamme vacillante, dont l’ombre folle danse sur les parois de notre tente, je jette un œil autour de moi en me redressant péniblement sur les coudes. Papa dort profondément, deux de ses chiens blottis à sa tête.  

Encore une bonne heure avant que le soleil ne se lève. Je souffle la bougie. En mourant la flamme dégage une désagréable odeur de cire brûlée qui heureusement s’évapore rapidement. Je soulève la toile épaisse qui sert de porte à notre tente et fouille l’horizon du regard. Les cimes des sapins découpent le ciel étoilé. La nuit est profonde. Silencieuse. La pleine lune pare de reflets argentés les quelques nuages vaporeux qui filent vers l’ouest.  

Soudain, les chiens attachés et roulés en boule autour de la tente redressent la tête.  Ils regardent tous dans la même direction. Après les coyotes, les loups s’y mettent. Des jappements suivis de hurlements auxquels répondent instantanément nos chiens. Réveillé en sursaut, mon père sort la tête de son sac de couchage, enfile ses lunettes, qu’il avait posé dans uns de ses chaussures, réajuste son bonnet de fourrure en plaquant les rabats sur  ses oreilles. Nos regards se croisent.  

Que se passe-t-il ? demande-t-il.   

Les loups, lui dis-je. 

Il y a plus d’un mois qu’ils tournent autour de notre camp, s’approchant régulièrement de plus en plus près. 

Ils aimeraient bien s’en payer un ou deux, sourit mon père en parlant de nos chiens. 

L’hiver a été très doux, jusqu’à maintenant, le gibier est en pleine forme. Les loups commencent à avoir faim. Il y a quelques jours, un vieux loup solitaire a tenté une percée désespérée avant de changer d’avis constatant que le rapport de force lui était défavorable. 

Mon père s’extrait péniblement de ses duvets, enfile un vieux pantalon militaire feutré des surplus de la police montée canadienne et se dirige vers le petit fourneau en se frottant énergiquement les mains.  Le froid est vif. Le thermomètre à l’entrée de la tente affiche -25C.

Tu as bien dormi ?  Demande-t-il tout en sélectionnant dans l’obscurité une poignée de brindilles de sapin bien sèches et du petit bois préparé la veille.  

Dès la première allumette, le feu craque et crépite portant la vie dans chacune de ses flammes. Leur lueur lèchent le visage de mon père, faisant fondre le givre sur sa barbe. Bientôt, le fourneau ronfle tel un moteur de locomotive, faisant danser nerveusement la cafetière d’où s’échappe la promesse d’un bon café.  

Mon père en avale une première tasse par petites gorgées, caressant doucement de ses lèvres le rebord du récipient fumant blotti dans la paume calleuse de ses mains, le  dos voûté, les coudes sur les cuisses. Une petite pause avant d’attaquer les galettes du petit-déjeuner.

Appréciant la chaleur, ses chiens s’étendent le plus près possible du fourneau. Mon père doit régulièrement les repousser du pied pour éviter qu’ils ne se roussissent par le poil.

On va avoir une belle journée, dit mon père en versant de la farine, des raisins secs, de la poudre d’œuf et de l’eau dans une grosse bassine en fer blanc.  Pendant qu’il en brasse énergiquement le contenu avec une grosse spatule en bois, ses chiens assis le panache de leurs queues chaudement enroulée sur leurs pattes de devant, l’observent avec une attention soutenue. Quand, le plus petit des deux, fait mine de  s’approcher de mon père, il provoque le dos rond de l’autre. Sensible à cette mise en garde feutrée, il se contente de transférer son poids d’une patte sur l’autre avec une impatience contenue mais désenchantée, promenant un regard apathique autour de lui. Plus le pain de mon père arrive à maturité plus les dandinements deviennent prononcés et plus mon père doit faire attention qu’une bagarre n’éclate pas. Un suspens rythmé par le chuintement des morceaux de glace qui glissent du toit de la tente le long du tuyau de poêle et viennent mourir sur le fourneau. Dehors le soleil, s’est enfin levé. 

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