Une quadra à la peau fatiguée par des années d’expositions au soleil trépigne sur le quai de la gare de Lyon. Les cheveux châtains, petite, nerveuse, elle danse d’un pied sur l’autre, le téléphone plaqué à l’oreille.
Notre train part dans une dizaine de minutes.
Génial, s’exclame-t-elle. Sans déconner? Tu plaisantes? Génial.
Elle parle de plus en plus vite. Accompagne son étonnement d’une multitude de gestes et moues. Parfois elle pousse des petits cris, sautille. « Sans déconner, Génial… »
Rit aux éclats en basculant la tête en arrière. Une multitude d’usagers passent et repassent à côté d’elle sans lui prêter la moindre attention.
Elle multiplie les « géniales « et autres « sans déconner » tantôt affirmatifs, faussement surpris, interrogatifs. De plus en plus vite, de plus en plus fort. Jusqu’au moment ou un retentissant et rauque : « Eh ho, ta gueule morue! » mette un terme à ses gesticulations.
Elle se fige, le téléphone collé à l’oreille et fixe, interloquée, le dos crasseux et loqueteux d’un vieux SDF occupé à inspecter consciencieusement le contenu d’une poubelle.
Il lui faudra quelques minutes avant de se rendre compte de l’imminence du départ de son train, ou elle s’engouffrera le portable à l’oreille en lâchant dans un interminable soupire, une suite de « Tu me croiras pas, j’hallucine, Tu sais quoi… »