Lundi matin. Dijon. Six minutes d’arrêt sous un ciel couvert et lourd. Le TGV à destination de Paris est assailli par une horde d’usagers dont beaucoup affichent la mine sombre des premières heures du jour quand une longue semaine d’allers et retours débute. Quelques-uns me sont familiers.
Comme ce couple de quadragénaires aussi amoureux qu’illégitime qui pendant une heure trente chaque matin échangent les bisous et les câlins auxquels ils ont rêvé toute la nuit dans le lit conjugal…
Il y a gros con et sa moue suffisante, qui se laisse tomber sur son fauteuil puis colonise l’espace à coups de coudes et en écartant les jambes…
Il y a le coucou, un informaticien programmateur d’une trentaine d’années, chasseur impénitent de femmes voyageant seules avec lesquelles il engage la conversation en baillant sans jamais mettre sa main devant sa bouche.
En face de moi, à gauche, quatre syndicalistes tergiversent sur une affiche et des tracts, à droite un couple de retraités égarés en seconde classe. Elle, drapée dans un châle en soie, lit un dépliant sur les journées du patrimoine, lui un traité sur la chirurgie viscérale en lorgnant une blondinette potelée, boudeuse, au nez en retroussé qui se lime les ongles en croisant et décroisant les jambes…
Mon voisin du jour est un monsieur d’une quarantaine d’années, en costume sombre, au teint cireux, dont la calvitie est masquée par de longues mèches de cheveux savamment réparties sur son crâne.
Avant de s’endormir, il se tortille dans tous les sens en grimaçant, creusant son siège de la pointe de ses fesses comme pour creuser un nid… Il s’immobilise, son visage s’apaise, ses yeux se ferment, une odeur de souris morte dernière une cloison me vrille les tripes. Je tourne la tête en sa direction, l’odeur est de plus en plus forte.
L’odeur s’amplifie, m’enveloppe, si écoeurante que je cherche du réconfort en captant le parfum des usagers qui arpentent le couloir. Un répit de courte durée, sitôt passés, l’odeur reprend le dessus. Obsédante. Entêtante. Écoeurante. Autour de nous, les regards se croisent, se jaugent, cherchant à débusquer le coupable. La boule puante.
Je renifle mes doigts, le col de ma chemise, de ma veste, ma casquette, les pages de mon livre, les coussinets de mes écouteurs… J’interpelle le contrôleur et le bombarde de questions. Son uniforme sent bon l’adoucissant. Il parlerait bien avec moi, mais il doit poursuivre sa mission… adieu l’adoucissant.
Sentant mon agitation, la femme du petit couple de retraités me fusille du regard, son châle relevé sur le nez. Je souris bêtement comme un enfant coincé par sa grand-mère, les doigts dans la confiture. Je force mon esprit à penser à autre chose, en fixant le plafond taché, le sol à la moquette crasseuse, le dossier devant moi, le paysage qui défile. Je ne tiendrai pas deux heures dans de telles conditions. Soudain, je me souviens du flacon de lotion antiseptique dans mon sac… Sauvé… J’en dévisse le bouchon, je le porte à mes narines avec satisfaction. C’est si bon… Une délivrance… La femme en face de moi ne me quitte plus des yeux, mais cette fois avec un air entendu et compatissant. L’air de penser non seulement il pue mais en plus il se drogue…