La nuit a été courte. Un petit somme s’impose avant d’attaquer une nouvelle journée de boulot. En lisant mon E-billet sur mon téléphone : « place 16 voiture 8 », cet espoir s’envole.
Je suis placé dans l’espace carré. Seul soulagement, j’échappe à la fenêtre.
A ma droite, un jeune empestant le tabac froid, regarde un film sur un encombrant PC « portable » posé sur ces genoux. Régulièrement, il rit en m’enfonçant ses coudes dans les avant-bras.
Enfants élevés aux boissons énergétiques
En face, une jeune sportive en survêtement lycra citron vert, aux jambes interminables ne cesse de se plier et déplier cherchant une position pour dormir.
A ma gauche, une famille avec deux enfants. Maman dort lové dans son grand manteau, papa s’amuse avec son téléphone.
Leurs deux enfants, que l’on dirait dopés aux boissons énergétiques, jouent aux cartes en se chamaillant, des écouteurs sur les oreilles.
Le niveau sonore de leurs échanges ne cesse d’augmenter.
La situation devient rapidement si pénible que je décide de sacrifier le confort à la tranquillité, en partant m’installer sur le strapontin du couloir près de la sortie.
L’enfer ou le paradis
Voyager en espace carré, seul ou a deux, c’est le paradis. A quatre, l’enfer.
Et pour cause, cet emplacement est celui des personnes qui prennent leur train au dernier moment ou encore aux familles… Seuls quelques personnes « hors gabarit » choisissent de s’y installer.
Une chose est certaine, c’est là que j’ai vécu mes voyages les plus désagréables et éprouvants. .
La famille malienne
Comme cette heure trente passée au cœur d’un famille malienne de retour de vacances. Le père et la mère côtoyaient les deux mètres. Le plus petit des 3 enfants devait mesurer 1 m 90 à 14 ans. Le plus grand devait baisser la tête pour passer les portes.
Pendant ce périple, j’ai vécu ce paradoxe dont parlent les personnes venant de perdre leurs jambes, lorsqu’ils prétendent sentir leur présence.
Techniquement, je ne voyais plus mes membres inférieurs perdus au cœur d’un fatras de jambes, sacs et autres objets. Mais je ressentais une envie oppressante de les gratter, de les bouger, de les étendre.
Chaque fois que je tentais de le faire, la mère ouvrait les yeux et m’adressait un regard sombre ponctué d’un bruit de la bouche méprisant.
La stripteaseuse et l’intégriste
Une autre fois, je me suis retrouvé à voyager coincé entre ce qui ressemblait à une stripteaseuse bulgare ou hongroise et un jeune adepte de l’islam radical à la barbe naissante et duveteuse.
Malgré tout le mépris qu’il semblait vouer à cette jeune fille tatouée et bronzée, en mini short en jean et T-shirt généreusement échancré, ce dernier ne pouvait détacher ses yeux de cette créature, qui, de son côté, semblait éprouver un certain plaisir à le provoquer.
C’est dans la prière qu’il trouvera paix intérieure et réconfort. En à peine une heure, il priera deux fois, invoquant le tout puissant, tantôt le dos bien droit les main ouvertes devant ses yeux mi-clos, tantôt le front posé sur la tablette du train.
Espace Teletubbies
Autre jour, autre train… Ce dimanche matin, après avoir cédé ma place pour ne pas séparer un couple, je me suis retrouvé dans le monde fabuleux des Teletubbies, coincé entre une poussette et une anglaise voyageant seule avec un bébé de quelques mois et une petite fille de quatre ans.
Une heure trente à ramasser jouets, tétines, biscuits, fruits et légumes bios en tranches que bébé catapultait en direction de sa grande sœur ou a empêcher que l’un ou l’autre ne tombe ou ne se fracasse la tête contre la tablette…
Impassible, leur mère, ponctuait chacune de mes interventions d’un « Oh, thank-you » et moi d’un : « You are welcome ».
La jeune fille semblait quant à elle prendre un certain plaisir à me voir prendre part à leur petite vie de famille… Sentiment confirmé lorsqu’elle finira par demander à sa maman :
– Mom, is he our daddy ?
– Oh no darling.…
Comme le dit la SNCF : « A nous de vous faire préférer le train… »