Lors de son allocution du 16 mars, à l’occasion de laquelle il annoncait quinze jours deconfinement pour empêcher la propagation du nouveau coronavirus, notre président invitait « ses chers compatriotes » à lire … Cette suggestion est aussi bonne que le ton de ce dernier était terriblement agaçant. Alors voici une petite sélection de romans que j’ai lu et breaucoup apprécié. J’espère qu’ils vous aiderons à passer ce moment. D’autres suivront au cours des jours qui viennent… N’hésitez pas à me laisser des commentaires et des suggestions. Notre président (toujours lui!), n’a-t-il pas également suggéré que nous inventions d’autres formes de partages et de solidarités ? Allez, bonne lecture
Ces montagnes à jamais, de Joe Wilkins. Traduit de l’anglais (États-Unis). Gallmeister, 320 p., 23 €

Au cœur des vastes espaces sauvages du Montana, l’horizon de Wendell Newman, 24 ans, le personnage principal de ce saisissant premier roman, semble bien sombre. Il y a dix ans, après avoir tué un garde-chasse, son père s’est enfui dans les montagnes où il a disparu. Malade depuis des années, sa mère vient de se suicider. Les soins que Wendell a assumés financièrement pour tenter de la sauver l’ont ruiné. L’ancienne vedette de basket du lycée survit, seul dans une vieille caravane, sur ce qui reste des terres ayant appartenu à ses parents, comme ouvrier agricole.
Quand une assistante sociale débarque pour lui confier la garde du fils illégitime de sa cousine, incarcérée pour une affaire de drogue, cela ressemble à une épreuve supplémentaire. Pourtant, touché par l’histoire de Rowdy, gamin de 7 ans mutique et traumatisé, Wendell décide de lui donner la chance qu’il n’a pas eue.
Il va prendre soin de lui, l’emmener partout avec lui, l’inscrire à l’école et l’initier à la vie sauvage. Des liens de plus en plus forts se créent. Des moments émouvants que l’auteur décrit avec une très grande subtilité et une connaissance intime des communautés rurales isolées du Montana. Et pour cause, comme son personnage, Joe Wilkins a grandi dans une ferme locale et, comme lui, a perdu son père très jeune. Une enfance qu’il évoque dans un remarquable récit autobiographique (The Mountain and the Fathers), qui sera traduit chez Gallmeister en 2021.
Si, grâce à cet embryon de famille, Wendell et Rowdy retrouvent des raisons d’espérer, leur bonheur reste à la merci des relations au sein de leur communauté rurale. Notamment avec Gillian, l’assistante idéaliste du proviseur de l’école où Rowdy vient d’être scolarisé. Persuadée que Wendell abuse de son neveu, elle cherche à le confondre. Un désir d’en découdre alimenté parce qu’elle est la veuve du garde-chasse tué par son père.
Sur le chemin de Wendell, aussi, des fermiers et des chasseurs constitués en milices violentes. Ralliera-t-il ou non leur cause, comme son père dix ans plus tôt, alors que la tension monte dans la région au sujet d’une chasse aux loups ? Ce roman profondément humain aborde une multitude de thèmes et pose autant de questions, sur le rapport à la terre, à la nature (remarquablement évoquée ici et omniprésente), à la politique, à l’histoire et notamment aux mythes fondateurs de ce pays, comme celui des pionniers et cow-boys qui, dans cette région à l’écart du monde, ont décidément la vie dure.
Qui a tué le maire de Paris ? de Philippe Colin-Olivier. Éd. Pierre-Guillaume de Roux, 200 p., 18 €

J.-J. Navalo, l’actuel maire de Paris a « le torse » et le « verbe conquérants ». « Bâti comme un dieu », son teint rappel le « saindoux de qualité supérieure ». Il a « souvent une raquette sous le bras », il embrasse « sur le front les enfants pauvres », « ronronne » avec les retraités, mange tous les mardis avec un migrant, aime les trottinettes et bicyclettes, déteste l’automobile. En résumé, ce personnage a autant de quoi séduire qu’agacer. Cinq citoyens ont même en tête de l’assassiner. Alors quand ce dernier disparaît après avoir passé la nuit avec une admiratrice, ils deviennent les principaux suspects. L’élite de la police enquête. Une réjouissante charge humoristique contre certains politiciens….
Ailleurs sous zéro, de Pierre Pelot. Héloïse d’Ormesson, 160 p., 16 €

Après Debout dans le tonnerre (2017), Braves gens du Purgatoire (2019), l’auteur vosgien nous régale avec 13 nouvelles « trempées à l’encre de la nuit ». « La première de la harde, qui brandit l’étendard du recueil, prévient-il dans le prologue, fut écrite au profond d’une sorte de gouffre. » Ceux qui le suivent depuis des années se doutent qu’il fait pudiquement référence à la mort de son fils et partenaire de vannes. Un départ qui le plongea dans un silence littéraire que l’on craignait définitif. Cette nouvelle « est le cri, monté plus tard, une fois le souffle retrouvé ». Et du souffle il y en a dans ses histoires sombres et magnifiques, écrites avec les tripes et ses mots rares qu’il affectionne tant. Du grand Pelot
Nuits Appalaches, de Chris Offutt. Traduit de l’anglais (États-Unis). par Anatole Pons. Gallmeister, 228 p., 21,40 €

En 1954, Tucker, un jeune soldat démobilisé, revient dans le Kentucky après avoir combattu en Corée. Sur une route des Appalaches, il croise une jeune fille qu’il sauve d’un viol. Dix ans plus tard, ils vivent ensemble, ont cinq enfants. Tucker travaille pour un trafiquant local d’alcool. Lorsque les services sociaux, alertés leurs conditions de vie, menacent de leur enlever les enfants, les réflexes de l’ancien combattant remontent à la surface, et ce dernier compte bien défendre le droit au bonheur de sa famille. prix Mystère de la critique 2020, ce roman subtil et énergique signe le retour très attendu de cet auteur dix ans après son dernier roman…
La meute, de Thomas Bronnec. Les Arènes Equinox, 428 p., 20 €

Un vieux président défait compte bien revenir au pouvoir à l’occasion des prochaines élections présidentielles. Mais face à lui se dresse une jeune femme novice en politique, d’une gauche nettement plus radicale, qui souhaite bousculer ce vieux monde où règnent les mâles dominants, les spécialistes en communication, les réseaux sociaux. C’est en beauté que se termine avec les mêmes protagonistes cette passionnante trilogie de politique-fiction que cet auteur bien informé a débutée avec Les Initiés (Gallimard), où il évoquait l’influence des hauts fonctionnaires de Bercy et la collusion entre intérêts privés et publics, et En pays conquis (Gallimard), chronique féroce une campagne présidentielle sur fond d’europhobe et de montée de l’extrême droite.
El Niño de Hollywood, d’Oscar et Juan José Martinez. Traduit de l’espagnol (Salvador) par René Solis. Métailié, 336 p., 22 € (1)

Les premières lignes donnent le ton : « L’idée centrale de ce livre est liée à la question du traitement des déchets. Concrètement, c’est au traitement de ces rébus, que la grosse machinerie actionnée par les États-Unis de l’Amérique du Nord, éjecte à intervalles réguliers, hors de ses frontières. Des déchets balancés au Salvador, un pays qui est une machine à broyer… » Miguel Angel Tobar, un jeune sicario, un assassin à la solde du gang la Mara Salvatrucha 13, est l’un de ces « déchets ». Et c’est son histoire que les frères Martinez, un journaliste d’investigation et un ethnologue, racontent dans ce document saisissant, à la construction originale qui tient du thriller, de l’enquête historique et du récit documentaire.
Ils ont rencontré Miguel Angel Tobar lors d’une enquête sur les chefs de gangs aux États-Unis pour elfaro.net, publication qui se présente comme le premier journal sud-américain en ligne. Il venait de se mettre au service de la police comme informateur, signant son arrêt de mort.
Ils vont l’écouter raconter son histoire, de son enfance au Salvador où, chétif et effrayé, il va se mettre à tuer pour survivre, jusqu’à sa propre exécution. Entre de nombreux allers et retours dans l’histoire complexe et sanglante du Salvador, on découvre un homme d’une sincérité glaçante, sans remords, à la fois naïf et superstitieux… Pourquoi ce dernier a-t-il décidé de raconter sa vie, dans un univers où parler vous condamne à mort ? La question reste en suspens. Les auteurs affirment qu’ils n’a rien demandé en retour.
L’intérêt de ce récit, au-delà du témoignage exceptionnel sur l’univers complexe et protéiforme des gangs, est ce qu’il dit de la manière dont des politiques nationales peuvent bouleverser l’existence d’une multitude de personnes. On y voit comment des jeunes migrants salvadoriens ayant fui la violence dans leur pays ont formé l’une des organisations les plus redoutées en profitant de toutes les situations s’offrant à eux. Infiltrant la police, le monde politique, les autres gangs, au point de devenir un problème majeur pour les autorités américaines. Qui n’ont rien trouvé de mieux pour se débarrasser du problème que de le renvoyer dans son pays d’origine. Une décision aux terribles conséquences, puisque le gang va s’y développer et faire du Salvador l’un des pays les plus meurtriers au monde.
18.3, une année à la PJ, de Pauline Guéna. Denoël, 528 p., 21 €

Une année durant, la romancière et scénariste Pauline Guéna a partagé le quotidien des unités de la police judiciaire. Une expérience fascinante qui a démarré, hasard des dates, en novembre 2015, quelques jours après les attentats de Paris. Avec un remarquable sens du détail et une empathie peu commune, l’auteure nous fait assister de jour comme de nuit à des interrogatoires, des perquisitions, des filatures, des planques, des autopsies. Certaines scènes sont dures, glaçantes, à la limite du supportable. L’auteure, à qui rien n’a été épargné de la noirceur humaine, partage dans ce témoignage exceptionnel son expérience des scènes de crime, évoquant justement les états d’âme des policiers, leur humour, leurs souffrances, leurs colères et doutes.
La route 117, de James Anderson. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Clément Baude, Belfond, 352 p., 21 €

Pour oublier la disparition de sa femme, survenue quelques semaines plus tôt, Ben, chauffeur routier d’un coin perdu de l’Utah, s’accroche à son volant. Malgré la neige et la glace, il multiplie les allers et retours sur la route 117, sillonnant des paysages lunaires, pour livrer toutes sortes de paquets. Un matin, dans une station-service, un étrange colis l’attend : un gamin mutique et son chien, avec un mot lui demandant de s’occuper d’eux. Quelques heures plus tard, on lui confie également un bébé de quatre mois… Ainsi commence cette aventure hypnotique, peuplée de personnages aussi pittoresques qu’attachants, comme dans son précédent roman Desert Home, qui mettait déjà en scène ce même chauffeur routier.
Dry Bones, de Craig Johnson. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sophie Aslanides, Gallmeister, 344 p., 23,20 €

La découverte dans un ranch du Wyoming d’un fossile de T-Rex parfaitement conservé aurait tout d’une excellente nouvelle pour la paléontologie. À ceci près que le corps du propriétaire du site, et potentiel bénéficiaire de la manne financière représentée par cette découverte majeure, le Cheyenne Danny Lone Elk, est repêché à proximité. À charge pour le shérif Walt Longmire, déjà fort occupé par des soucis personnels, de débusquer le ou les meurtriers. Une mission d’autant plus compliquée que cette découverte déchaîne les passions et suscite bien des convoitises. Une intrigue bien ficelée avec, au menu, de l’humour, des personnages attachants et la nature des grands espaces de l’ouest américain.
Paz, De Caryl Ferey. Série noire, 538 p., 22 €

Dans Mapuche, l’auteur nous racontait l’Argentine, dans Condor, le Chili. Avec Paz (la paix en espagnol !), il nous entraîne en Colombie. Un pays en charpie, meurtri par la violence politique, sociale, la corruption, traumatisé par des années de guerre civile avec les Forces armées révolutionnaires (Farc). Ce roman saisissant s’ouvre en pleine élection présidentielle, un processus de paix avec les Farc a été initié mais tout est encore si fragile… On y croise une journaliste d’investigation pleine de charme, des narcos, des tueurs, des gamins des rues, des filles perdues, un père redoutable et deux frères que tout semble opposer. L’un est du côté des Farc, l’autre du pouvoir… Un roman documenté, enivrant, explosif, militant, jamais manichéen.
Des hommes en noir, de Santiago Gamboa. Traduit de l’espagnol (Colombie) par François Gaudry, Métailié (Noire), 368 p. 21 €

En Colombie, trois véhicules sont attaqués par des hommes lourdement armés. Deux femmes et un homme en noir sont sauvés in extremis pas l’arrivée d’un hélicoptère de combat, et évacués. Un enfant perché dans un arbre assiste à la scène et témoigne. Son histoire remonte jusqu’au procureur de Bogota qui envoie sur place une ancienne journaliste d’investigation. Elle s’y confrontera aux puissantes Églises évangéliques qui ont envahi l’Amérique latine et à la pègre… Une plongée décoiffante dans un pays marqué par de longues années de guerre civile. L’intrigue est musclée, saupoudrée de poésie et d’un humour noir aussi irrésistible que les deux héroïnes.
Coup de vent, de Mark Haskell Smith, traduit de l’anglais (États-Unis) par Julien Guérif, Gallmeister (coll. « Americana »), 260 p., 22 €

Dans les Caraïbes, sur un voilier en détresse en pleine mer, Neal Nathanson, blessé, assoiffé, affamé, se sent glisser vers une mort certaine. Lorsqu’il aperçoit une lumière au loin, il tente désespérément d’attirer l’attention en brûlant des liasses de billets de banque. Le feu gagne son bateau. Il perd connaissance.
Lorsqu’il se réveille, il est attaché au garde-fou d’un voilier. Une jeune femme, seule, se tient au-dessus de lui, déterminée à savoir qui il est et, surtout, ce qu’il fait avec autant d’argent. Il commence à lui expliquer qu’il travaille pour une grande banque d’affaires de Wall Street à New York où il est chargé des recouvrements spéciaux. L’argent dans les sacs, c’est ce qui reste des 17 millions de dollars détournés par un certain Bryan LeBlanc. Un jeune trader que l’on découvre dans le chapitre suivant quelque temps plus tôt, visiblement très remonté contre le monde de la finance.
Ainsi commence le nouveau roman de l’Américain Mark Haskell Smith, qui ne tarde pas à virer au jeu de massacre dans la joie et la bonne humeur comme l’aime cet auteur hédoniste, adepte des contre-cultures. On ne subtilise pas une telle somme d’argent à une banque aussi réputée sans qu’elle réagisse. Il en va de sa réputation. Et de préférence sans faire appel à la police, ce qui risquerait de saper le moral et la confiance des clients. Notre trader indélicat épris de liberté va rapidement avoir toutes sortes de personnages aux basques, comme notamment Neal Nathanson, le fin limier de la compagnie, et Seo-yun sa brillante collègue…
Ce qui rend ce roman particulièrement réjouissant, en dehors de son intrigue tortueuse semée d’embûches et de rebondissements, tient essentiellement à ses personnages, confrontés à des situations qui flirtent avec délectation avec le burlesque et l’absurde. Ainsi de Piet, le détective de toute petite taille, doté d’une incroyable capacité à séduire certaines femmes. Des personnages souvent touchants, à la morale élastique, dépassés par leur vie quotidienne. S’ils ne sont jamais ce qu’ils prétendent ou semblent être, ils ont en commun ce même désir de liberté, d’émancipation.
Dans ce roman plus noir que ses précédents, Mark Haskell Smith décrit remarquablement leurs questionnements. C’est, quoi qu’il en soit, drôle, coloré, mordant, irrévérencieux, rythmé. Une fable éthique passionnante, parfois un tantinet moralisatrice sur ce qui nous pousse à prendre telle ou telle décision et où nous sommes souvent notre plus grand ennemi.
Le Miel du lion, de Matthew Neill Null, Traduit de l’anglais (États‑Unis) par Bruno Boudard, Albin Michel, 420 p., 23 €

Dans le chapitre d’ouverture, nous sommes au tout début de la guerre de Sécession en juillet 1861. Trois fantassins unionistes new-yorkais marchent dans la forêt luxuriante de la chaîne des Allegheny en Virginie-Occidentale.
Pour tromper la fatigue, l’ennui, la faim qui leur cisaille le ventre, ces fils de spéculateurs et marchands de textiles imaginent ce que cette forêt pourrait leur rapporter. Le bois y est abondant et de qualité, avec tout ce qu’il faut comme rivières et charbon pour alimenter les locomotives à vapeur et les scieries… Trois ans plus tard, ils fondent la Cheat River Paper and Pulp.
Un demi-siècle plus tard, en 1904, la compagnie créée par les trois barons new-yorkais prospère. Des milliers d’hectares ont été rasés, autant attendant de l’être. Le pays a faim de papier et de profits. Les trois hommes, devenus des notables investis dans la politique et les affaires, sont désormais à la tête d’une armée de bûcherons venus de tout le pays, et même de l’étranger, notamment d’Irlande et d’Italie.
De manière expressive, dans un style admirablement traduit, Matthew Neill Null raconte le quotidien de ces forçats du bois. Avec une grande précision, il décrit leur quotidien, leurs conditions et manières de vivre, de travailler, mais aussi leurs rêves et aspirations.
Qu’ils soient débardeurs, scieurs, affûteurs, argousins, pointeurs, poseurs de voies, tronçonneurs ou « ébouteurs aux doigts maculés de résine », ils ont en commun de vivre dans des conditions inhumaines pour enrichir des hommes indifférents à leur sort. La douleur qu’ils partagent est permanente, la violence, la peur et la mort omniprésentes. Pour survivre, ils se regroupent instinctivement par origines et corps de métier.
L’incroyable galerie de personnages proposée par Matthew Neill Null compte Cur, qui pour de mystérieuses raisons a dû fuir sa ferme et sa famille. Avec sa confrérie, les Loups de la forêt, il se retrouve entraîné dans un syndicat clandestin prêt à tout pour défendre l’intérêt des travailleurs. On croisera aussi un pasteur évangélique en froid avec Dieu, un commerçant syrien idéaliste, une veuve slovène amoureuse et militante…
La prose de ce jeune auteur dont c’est le premier roman est d’une incroyable maturité littéraire. Les descriptions lyriques, d’une beauté saisissante, offrent une bouleversante réflexion sur le rapport de l’homme avec la nature.