Des romans pour sortir du confinement

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Lors de son allocution du 16 mars, à l’occasion de laquelle il annoncait quinze jours deconfinement pour empêcher la propagation du nouveau coronavirus, notre président invitait « ses chers compatriotes » à lire … Cette suggestion est aussi bonne que le ton de ce dernier était terriblement agaçant. Alors voici une petite sélection de romans que j’ai lu et breaucoup apprécié. J’espère qu’ils vous aiderons à passer ce moment. D’autres suivront au cours des jours qui viennent… N’hésitez pas à me laisser des commentaires et des suggestions. Notre président (toujours lui!), n’a-t-il pas également suggéré que nous inventions d’autres formes de partages et de solidarités ? Allez, bonne lecture

Ces montagnes à jamais, de Joe Wilkins. Traduit de l’anglais (États-Unis). Gallmeister, 320 p., 23 €

Au cœur des vastes espaces sauvages du Montana, l’horizon de Wendell Newman, 24 ans, le personnage principal de ce saisissant premier roman, semble bien sombre. Il y a dix ans, après avoir tué un garde-chasse, son père s’est enfui dans les montagnes où il a disparu. Malade depuis des années, sa mère vient de se suicider. Les soins que Wendell a assumés financièrement pour tenter de la sauver l’ont ruiné. L’ancienne vedette de basket du lycée survit, seul dans une vieille caravane, sur ce qui reste des terres ayant appartenu à ses parents, comme ouvrier agricole.

Quand une assistante sociale débarque pour lui confier la garde du fils illégitime de sa cousine, incarcérée pour une affaire de drogue, cela ressemble à une épreuve supplémentaire. Pourtant, touché par l’histoire de Rowdy, gamin de 7 ans mutique et traumatisé, Wendell décide de lui donner la chance qu’il n’a pas eue.

Il va prendre soin de lui, l’emmener partout avec lui, l’inscrire à l’école et l’initier à la vie sauvage. Des liens de plus en plus forts se créent. Des moments émouvants que l’auteur décrit avec une très grande subtilité et une connaissance intime des communautés rurales isolées du Montana. Et pour cause, comme son personnage, Joe Wilkins a grandi dans une ferme locale et, comme lui, a perdu son père très jeune. Une enfance qu’il évoque dans un remarquable récit auto­biographique (The Mountain and the Fathers), qui sera traduit chez Gallmeister en 2021.

Si, grâce à cet embryon de famille, Wendell et Rowdy retrouvent des raisons d’espérer, leur bonheur reste à la merci des relations au sein de leur communauté rurale. Notamment avec Gillian, l’assistante idéaliste du proviseur de l’école où Rowdy vient d’être scolarisé. Persuadée que Wendell abuse de son neveu, elle cherche à le confondre. Un désir d’en découdre alimenté parce qu’elle est la veuve du garde-chasse tué par son père.

Sur le chemin de Wendell, aussi, des fermiers et des chasseurs constitués en milices violentes. Ralliera-t-il ou non leur cause, comme son père dix ans plus tôt, alors que la tension monte dans la région au sujet d’une chasse aux loups ? Ce roman profondément humain aborde une multitude de thèmes et pose autant de questions, sur le rapport à la terre, à la nature (remarquablement évoquée ici et omniprésente), à la politique, à l’histoire et notamment aux mythes fondateurs de ce pays, comme celui des pionniers et cow-boys qui, dans cette région à l’écart du monde, ont décidément la vie dure.

Qui a tué le maire de Paris ? de Philippe Colin-Olivier. Éd. Pierre-Guillaume de Roux, 200 p., 18 €

J.-J. Navalo, l’actuel maire de Paris a « le torse » et le « verbe conquérants ». « Bâti comme un dieu », son teint rappel le « saindoux de qualité supérieure ». Il a « souvent une raquette sous le bras », il embrasse « sur le front les enfants pauvres », « ronronne » avec les retraités, mange tous les mardis avec un migrant, aime les trottinettes et bicyclettes, déteste l’automobile. En résumé, ce personnage a autant de quoi séduire qu’agacer. Cinq citoyens ont même en tête de l’assassiner. Alors quand ce dernier disparaît après avoir passé la nuit avec une admiratrice, ils deviennent les principaux suspects. L’élite de la police enquête. Une réjouissante charge humoristique contre certains politiciens….

Ailleurs sous zéro, de Pierre Pelot. Héloïse d’Ormesson, 160 p., 16 €

Après Debout dans le tonnerre (2017), Braves gens du Purgatoire (2019), l’auteur vosgien nous régale avec 13 nouvelles « trempées à l’encre de la nuit ». « La première de la harde, qui brandit l’étendard du recueil, prévient-il dans le prologue, fut écrite au profond d’une sorte de gouffre. » Ceux qui le suivent depuis des années se doutent qu’il fait pudiquement référence à la mort de son fils et partenaire de vannes. Un départ qui le plongea dans un silence littéraire que l’on craignait définitif. Cette nouvelle « est le cri, monté plus tard, une fois le souffle retrouvé ». Et du souffle il y en a dans ses histoires sombres et magnifiques, écrites avec les tripes et ses mots rares qu’il affectionne tant. Du grand Pelot

Nuits Appalaches, de Chris Offutt. Traduit de l’anglais (États-Unis). par Anatole Pons. Gallmeister, 228 p., 21,40 €

En 1954, Tucker, un jeune soldat démobilisé, revient dans le Kentucky après avoir combattu en Corée. Sur une route des Appalaches, il croise une jeune fille qu’il sauve d’un viol. Dix ans plus tard, ils vivent ensemble, ont cinq enfants. Tucker travaille pour un trafiquant local d’alcool. Lorsque les services sociaux, alertés leurs conditions de vie, menacent de leur enlever les enfants, les réflexes de l’ancien combattant remontent à la surface, et ce dernier compte bien défendre le droit au bonheur de sa famille. prix Mystère de la critique 2020, ce roman subtil et énergique signe le retour très attendu de cet auteur dix ans après son dernier roman…

La meute, de Thomas Bronnec. Les Arènes Equinox, 428 p., 20 €

Un vieux président défait compte bien revenir au pouvoir à l’occasion des prochaines élections présidentielles. Mais face à lui se dresse une jeune femme novice en politique, d’une gauche nettement plus radicale, qui souhaite bousculer ce vieux monde où règnent les mâles dominants, les spécialistes en communication, les réseaux sociaux. C’est en beauté que se termine avec les mêmes protagonistes cette passionnante trilogie de politique-fiction que cet auteur bien informé a débutée avec Les Initiés (Gallimard), où il évoquait l’influence des hauts fonctionnaires de Bercy et la collusion entre intérêts privés et publics, et En pays conquis (Gallimard), chronique féroce une campagne présidentielle sur fond d’europhobe et de montée de l’extrême droite.

El Niño de Hollywood, d’Oscar et Juan José Martinez. Traduit de l’espagnol (Salvador) par René Solis. Métailié, 336 p., 22 € (1)

Les premières lignes donnent le ton : « L’idée centrale de ce livre est liée à la question du traitement des déchets. Concrètement, c’est au traitement de ces rébus, que la grosse machinerie actionnée par les États-Unis de l’Amérique du Nord, éjecte à intervalles réguliers, hors de ses frontières. Des déchets balancés au Salvador, un pays qui est une machine à broyer… » Miguel Angel Tobar, un jeune sicario, un assassin à la solde du gang la Mara Salvatrucha 13, est l’un de ces « déchets ». Et c’est son histoire que les frères Martinez, un journaliste d’investigation et un ethnologue, racontent dans ce document saisissant, à la construction originale qui tient du thriller, de l’enquête historique et du récit documentaire.

Ils ont rencontré Miguel Angel Tobar lors d’une enquête sur les chefs de gangs aux États-Unis pour elfaro.net, publication qui se présente comme le premier journal sud-américain en ligne. Il venait de se mettre au service de la police comme informateur, signant son arrêt de mort.

Ils vont l’écouter raconter son histoire, de son enfance au Salvador où, chétif et effrayé, il va se mettre à tuer pour survivre, jusqu’à sa propre exécution. Entre de nombreux allers et retours dans l’histoire complexe et sanglante du Salvador, on découvre un homme d’une sincérité glaçante, sans remords, à la fois naïf et superstitieux… Pourquoi ce dernier a-t-il décidé de raconter sa vie, dans un univers où parler vous condamne à mort ? La question reste en suspens. Les auteurs affirment qu’ils n’a rien demandé en retour.

L’intérêt de ce récit, au-delà du témoignage exceptionnel sur l’univers complexe et protéiforme des gangs, est ce qu’il dit de la manière dont des politiques nationales peuvent bouleverser l’existence d’une multitude de personnes. On y voit comment des jeunes migrants salvadoriens ayant fui la violence dans leur pays ont formé l’une des organisations les plus redoutées en profitant de toutes les situations s’offrant à eux. Infiltrant la police, le monde politique, les autres gangs, au point de devenir un problème majeur pour les autorités américaines. Qui n’ont rien trouvé de mieux pour se débarrasser du problème que de le renvoyer dans son pays d’origine. Une décision aux terribles conséquences, puisque le gang va s’y développer et faire du Salvador l’un des pays les plus meurtriers au monde.

18.3, une année à la PJ, de Pauline Guéna. Denoël, 528 p., 21 €

Une année durant, la romancière et scénariste Pauline Guéna a partagé le quotidien des unités de la police judiciaire. Une expérience fascinante qui a démarré, hasard des dates, en novembre 2015, quelques jours après les attentats de Paris. Avec un remarquable sens du détail et une empathie peu commune, l’auteure nous fait assister de jour comme de nuit à des interrogatoires, des perquisitions, des filatures, des planques, des autopsies. Certaines scènes sont dures, glaçantes, à la limite du supportable. L’auteure, à qui rien n’a été épargné de la noirceur humaine, partage dans ce témoignage exceptionnel son expérience des scènes de crime, évoquant justement les états d’âme des policiers, leur humour, leurs souffrances, leurs colères et doutes.

La route 117, de James Anderson. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Clément Baude, Belfond, 352 p., 21 €

Pour oublier la disparition de sa femme, survenue quelques semaines plus tôt, Ben, chauffeur routier d’un coin perdu de l’Utah, s’accroche à son volant. Malgré la neige et la glace, il multiplie les allers et retours sur la route 117, sillonnant des paysages lunaires, pour livrer toutes sortes de paquets. Un matin, dans une station-service, un étrange colis l’attend : un gamin mutique et son chien, avec un mot lui demandant de s’occuper d’eux. Quelques heures plus tard, on lui confie également un bébé de quatre mois… Ainsi commence cette aventure hypnotique, peuplée de personnages aussi pittoresques qu’attachants, comme dans son précédent roman Desert Home, qui mettait déjà en scène ce même chauffeur routier.

Dry Bones, de Craig Johnson. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sophie Aslanides, Gallmeister, 344 p., 23,20 €

La découverte dans un ranch du Wyoming d’un fossile de T-Rex parfaitement conservé aurait tout d’une excellente nouvelle pour la paléontologie. À ceci près que le corps du propriétaire du site, et potentiel bénéficiaire de la manne financière représentée par cette découverte majeure, le Cheyenne Danny Lone Elk, est repêché à proximité. À charge pour le shérif Walt Longmire, déjà fort occupé par des soucis personnels, de débusquer le ou les meurtriers. Une mission d’autant plus compliquée que cette découverte déchaîne les passions et suscite bien des convoitises. Une intrigue bien ficelée avec, au menu, de l’humour, des personnages attachants et la nature des grands espaces de l’ouest américain.

Paz, De Caryl Ferey. Série noire, 538 p., 22 €

Dans Mapuche, l’auteur nous racontait l’Argentine, dans Condor, le Chili. Avec Paz (la paix en espagnol !), il nous entraîne en Colombie. Un pays en charpie, meurtri par la violence politique, sociale, la corruption, traumatisé par des années de guerre civile avec les Forces armées révolutionnaires (Farc). Ce roman saisissant s’ouvre en pleine élection présidentielle, un processus de paix avec les Farc a été initié mais tout est encore si fragile… On y croise une journaliste d’investigation pleine de charme, des narcos, des tueurs, des gamins des rues, des filles perdues, un père redoutable et deux frères que tout semble opposer. L’un est du côté des Farc, l’autre du pouvoir… Un roman documenté, enivrant, explosif, militant, jamais manichéen.

Des hommes en noir, de Santiago Gamboa. Traduit de l’espagnol (Colombie) par François Gaudry, Métailié (Noire), 368 p. 21 €

En Colombie, trois véhicules sont attaqués par des hommes lourdement armés. Deux femmes et un homme en noir sont sauvés in extremis pas l’arrivée d’un hélicoptère de combat, et évacués. Un enfant perché dans un arbre assiste à la scène et témoigne. Son histoire remonte jusqu’au procureur de Bogota qui envoie sur place une ancienne journaliste d’investigation. Elle s’y confrontera aux puissantes Églises évangéliques qui ont envahi l’Amérique latine et à la pègre… Une plongée décoiffante dans un pays marqué par de longues années de guerre civile. L’intrigue est musclée, saupoudrée de poésie et d’un humour noir aussi irrésistible que les deux héroïnes.

Coup de vent, de Mark Haskell Smith, traduit de l’anglais (États-Unis) par Julien Guérif, Gallmeister (coll. « Americana »), 260 p., 22 €

Dans les Caraïbes, sur un voilier en détresse en pleine mer, Neal Nathanson, blessé, assoiffé, affamé, se sent glisser vers une mort certaine. Lorsqu’il aperçoit une lumière au loin, il tente désespérément d’attirer l’attention en brûlant des liasses de billets de banque. Le feu gagne son bateau. Il perd connaissance.

Lorsqu’il se réveille, il est attaché au garde-fou d’un voilier. Une jeune femme, seule, se tient au-dessus de lui, déterminée à savoir qui il est et, surtout, ce qu’il fait avec autant d’argent. Il commence à lui expliquer qu’il travaille pour une grande banque d’affaires de Wall Street à New York où il est chargé des recouvrements spéciaux. L’argent dans les sacs, c’est ce qui reste des 17 millions de dollars détournés par un certain Bryan LeBlanc. Un jeune trader que l’on découvre dans le chapitre suivant quelque temps plus tôt, visiblement très remonté contre le monde de la finance.

Ainsi commence le nouveau roman de l’Américain Mark Haskell Smith, qui ne tarde pas à virer au jeu de massacre dans la joie et la bonne humeur comme l’aime cet auteur hédoniste, adepte des contre-cultures. On ne subtilise pas une telle somme d’argent à une banque aussi réputée sans qu’elle réagisse. Il en va de sa réputation. Et de préférence sans faire appel à la police, ce qui risquerait de saper le moral et la confiance des clients. Notre trader indélicat épris de liberté va rapidement avoir toutes sortes de personnages aux basques, comme notamment Neal Nathanson, le fin limier de la compagnie, et Seo-yun sa brillante collègue…

Ce qui rend ce roman particulièrement réjouissant, en dehors de son intrigue tortueuse semée d’embûches et de rebondissements, tient essentiellement à ses personnages, confrontés à des situations qui flirtent avec délectation avec le burlesque et l’absurde. Ainsi de Piet, le détective de toute petite taille, doté d’une incroyable capacité à séduire certaines femmes. Des personnages souvent touchants, à la morale élastique, dépassés par leur vie quotidienne. S’ils ne sont jamais ce qu’ils prétendent ou semblent être, ils ont en commun ce même désir de liberté, d’émancipation.

Dans ce roman plus noir que ses précédents, Mark Haskell Smith décrit remarquablement leurs questionnements. C’est, quoi qu’il en soit, drôle, coloré, mordant, irrévérencieux, rythmé. Une fable éthique passionnante, parfois un tantinet moralisatrice sur ce qui nous pousse à prendre telle ou telle décision et où nous sommes souvent notre plus grand ennemi.

Le Miel du lion, de Matthew Neill Null, Traduit de l’anglais (États‑Unis) par Bruno Boudard, Albin Michel, 420 p., 23 €

Dans le chapitre d’ouverture, nous sommes au tout début de la guerre de Sécession en juillet 1861. Trois fantassins unionistes new-yorkais marchent dans la forêt luxuriante de la chaîne des Allegheny en Virginie-­Occidentale.

Pour tromper la fatigue, l’ennui, la faim qui leur cisaille le ventre, ces fils de spéculateurs et marchands de textiles imaginent ce que cette forêt pourrait leur rapporter. Le bois y est abondant et de qualité, avec tout ce qu’il faut comme rivières et charbon pour alimenter les locomotives à vapeur et les scieries… Trois ans plus tard, ils fondent la Cheat River Paper and Pulp.

Un demi-siècle plus tard, en 1904, la compagnie créée par les trois barons new-yorkais prospère. Des milliers d’hectares ont été rasés, autant attendant de l’être. Le pays a faim de papier et de profits. Les trois hommes, devenus des notables investis dans la politique et les affaires, sont désormais à la tête d’une armée de bûcherons venus de tout le pays, et même de l’étranger, notamment d’Irlande et d’Italie.

De manière expressive, dans un style admirablement traduit, Matthew Neill Null raconte le quotidien de ces forçats du bois. Avec une grande précision, il décrit leur quotidien, leurs conditions et manières de vivre, de travailler, mais aussi leurs rêves et aspirations.

Qu’ils soient débardeurs, scieurs, affûteurs, argousins, pointeurs, poseurs de voies, tronçonneurs ou « ébouteurs aux doigts maculés de résine », ils ont en commun de vivre dans des conditions inhumaines pour enrichir des hommes indifférents à leur sort. La douleur qu’ils partagent est permanente, la violence, la peur et la mort omniprésentes. Pour survivre, ils se regroupent instinctivement par origines et corps de métier.

L’incroyable galerie de personnages proposée par Matthew Neill Null compte Cur, qui pour de mystérieuses raisons a dû fuir sa ferme et sa famille. Avec sa confrérie, les Loups de la forêt, il se retrouve entraîné dans un syndicat clandestin prêt à tout pour défendre l’intérêt des travailleurs. On croisera aussi un pasteur évangélique en froid avec Dieu, un commerçant syrien idéaliste, une veuve slovène amoureuse et militante…

La prose de ce jeune auteur dont c’est le premier roman est d’une incroyable maturité littéraire. Les descriptions lyriques, d’une beauté saisissante, offrent une bouleversante réflexion sur le rapport de l’homme avec la nature.

Missoula, Montana, terre d’écrivains

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Grands espaces du Montana (Photo Emmanuel Romer)


Columbia, Harvard, Stanford, Cornell, les universités les plus prestigieuses d’Amérique du Nord proposent des ateliers d’écriture créative. Le pays en compterait plus de 200. Celui de Missoula dans le Montana est l’un des plus anciens et pittoresques des États-Unis.

Reportage réalisé pour La Croix  cet été…

p1000722«Welcome to Missoula » (prononcer Mizoula !), la deuxième ville la plus importante du Montana avec 70 000 habitants, dont 15 000 étudiants. Nichée au cœur des montagnes Bitterroot, elle est célèbre dans tout le pays pour son équipe de football américain, ses rivières à truites et son université, plus gros employeur de la région depuis que le commerce du bois ne fait plus recette.
C’est toutefois son incroyable aventure littéraire qui lui a permis de se tailler une réputation internationale. Elle prend sa source dans des ateliers dits d’écriture créative.

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Kevin Canty (Photo ER)

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Missoula

Certaines des plus grandes plumes de la littérature nord-américaine y sont passées, comme enseignants ou comme élèves : Wallace Stegner (La Montagne en sucre), Norman Maclean (La Rivière du sixième jour), Dorothy Johnson (Contrée indienne), James Crumley (Fausse piste), James Welch (L’Hiver dans le sang)… Une anthologie de plus de 1 200 pages, The Last Best Place, recensait en 1990 plus de 150 auteurs.

Ce soir de juillet, son auteur, William Kittredge, alias Bill, est attablé au Depot, l’un des bars historiques de Missoula, avec l’écrivain Debra Magpie Earling (Louise, Albin Michel) et son compagnon l’écrivain Robert Stubblefield. Ils fêtent la nomination de cette dernière comme directrice des ateliers d’écriture créative, pour trois ans.

Pete Fromm (Photo ER)

Pete Fromm (Photo ER)

La fête est sobre. Entre les restrictions budgétaires imposées à l’université par une direction qui, selon Debra, « privilégie les filières qui mènent à des emplois », les perspectives électorales avec la montée de Donald Trump et la mauvaise publicité causée par Missoula, un livre enquête de Jon Krakauer ( L’auteur d’Into the Wild, Presses de la cité), sur la culture du viol dans les universités, les prochaines années s’annoncent difficiles.

Pour le moral, rien de tel que d’évoquer le bon vieux temps. Bill, 84 ans, a connu les années les plus folles de ce programme, fondé en 1920 par Harold Guy Merriam. « C’est l’un des plus anciens du pays, raconte-t-il. J’ai commencé à y enseigner en 1969, cinq ans après l’arrivée du poète Richard Hugo qui va les faire décoller et lancer la légende. Nous avons travaillé ensemble jusqu’à sa mort en 1982. »

De grandes années au cours desquelles Missoula était l’endroit où il fallait se trouver. Des étudiants des meilleures universités et des personnalités s’y bousculaient. Une histoire riche en péripéties et anecdotes. En 1972, Raymond Carver, venu pêcher et faire la fête avec Bill, est tombé amoureux de cette ville, et accessoirement de la directrice des publications de l’université. Le romancier Richard Ford y a vécu quatre années très productives.

Kim Zupan (Photo ER)

Kim Zupan (Photo ER)

Si la plupart des représentants de cette génération, « rebelle, libre et sauvage », ne sont plus de ce monde, si les bars où ils faisaient la fête sont devenus des lieux de pèlerinage, l’essaim se renouvelle sans cesse avec de nouvelles plumes talentueuses, passionnées, innovantes comme celles de Pete Fromm (Le Nom des étoiles), Kevin Canty (Toutes les choses de la vie), ou Kim Zupan (Les Arpenteurs)… Selon ce dernier, la ville afficherait toujours l’une des plus fortes concentrations d’écrivains au mètre carré des États-Unis : « À Missoula, si vous lancez un caillou en l’air, il y a des chances qu’il retombe sur un écrivain en devenir ou confirmé. C’est ici que j’ai rencontré ma femme et elle est écrivain… »

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Lois Welch

Lois Welch, l’épouse du regretté James Welch, l’un des premiers élèves de Richard Hugo, le confirme. À la retraite depuis treize ans, cette spécialiste de Ionesco et de Tardieu, directrice du programme pendant huit ans dans les années 1980, affirme pouvoir encore aujourd’hui rassembler une vingtaine d’écrivains autour d’une même table en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

Selon cette dernière, Missoula demeure un sanctuaire propice à l’écriture même, si l’ouest et la vie sauvage ne sont plus les thématiques dominantes et que les femmes écrivains sont aussi nombreuses que les hommes : « Il y a de l’espace à volonté, des paysages, un isolement salutaire, le coût de la vie reste raisonnable, une communauté qui les soutient et les encourage de toutes les manières possibles avec un festival, des librairies, des rencontres… »

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Judy Blunt (Photo ER)

« Qui n’aimerait pas vivre ici ? » demande Judy Blunt, assise dans son jardin, sous un porche qu’elle a construit de ses propres mains. Les pieds dans une bassine d’eau, la directrice des ateliers d’écriture, pour tout ce qui est poésie et non fiction, promène un regard songeur sur les montagnes. « Encore faut-il vivre. La ville, l’université, les entreprises et les commerces emploient de nombreux écrivains, mais les perspectives sont limitées. » Ayant élevé seule trois enfants, après avoir quitté le ranch isolé où elle était née et où elle avait été mariée très jeune (une aventure qu’elle raconte dans un livre poignant, Breaking Clean), elle en sait quelque chose.

Avant d’enseigner à l’université, elle a exercé toutes sortes de métiers. Notamment dans le bâtiment comme Kim Zupan, l’ancien champion de rodéo, devenu charpentier, puis formateur en menuiserie, ou encore comme Niel McMahon, également charpentier le jour et écrivain la nuit. « Nous avons travaillé ensemble pendant des années, sourit Judy Blunt. Lors de nos pauses, nous parlions littérature quand les autres parlaient bagnoles et nanas… »

Une atmosphère et un état d’esprit qui séduit et attire toujours ceux et celles, nombreux, qui aspirent à écrire « alors que de moins en moins de gens lisent », sourit Lois Welch. Les Crumley, Harrison, Welch seront difficilement remplaçables, de l’avis de tous, mais les candidats sont nombreux et motivés. « Il vaut mieux l’être, le programme coûte cher, entre 6 000 et 18 000 dollars (de 5 400 à 16 200 €, NDLR) pour deux ans et cela ne comprend ni la nourriture ni le logement », explique Judy Blunt.

Elle admire ces candidats qui, souvent, financent eux-mêmes ce programme sans qu’il ne leur garantisse rien à la sortie, parfaitement conscients qu’ils devront en moyenne attendre une dizaine d’années avant de publier.

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Calan Wink (Photo DR)

« Ces ateliers vous offrent la possibilité pendant deux ans de vivre la vie d’un écrivain, explique Calan Wink, 30 ans, natif du Montana et auteur prometteur de nouvelles saluées par la critique. Il a suivi un programme semblable dans le Wyoming. « Pendant deux ans, poursuit-il, j’ai pu me concentrer sur l’écriture, la lecture, et rencontrer d’autres écrivains, c’est un luxe inestimable. »

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Robert Reid (Photo DR)

Même son de cloche pour Robert Sims Reid, policier le jour à Missoula, auteur de polars la nuit. Les ateliers de Missoula auxquels il a assisté, de 1975 à 1977, lui ont donné la possibilité de se confronter au regard d’écrivains chevronnés. « J’y ai appris non pas tant à écrire qu’à travailler, de manière disciplinée, à me confronter à la page blanche et à la critique. » Comme le disait un jour l’écrivain Thomas McGuane à Lois Welch, « avoir des idées, du talent et de l’inspiration, c’est formidable, mais seules comptent les heures passées en selle… » Autrement dit à travailler…

Kevin Canty, ancien directeur du programme qui prépare la sortie de son prochain roman, prévient qu’il ne faut pas s’attendre à avoir une révélation pendant ces deux ans de formation. « On y apprend essentiellement une multitude de petites astuces pour trouver un rythme, créer la surprise, susciter l’envie et trouver sa voix. Mais ce qui fonctionne pour l’un ne va pas forcément fonctionner pour l’autre. Écrire est complexe. Il n’y a pas de recette miracle. »

 

Laird Hunt, Grand prix de littérature américaine pour « Neverhome » | Pages noires

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CVT_Neverhome_4223Lauréat du tout nouveau Grand prix de littérature américaine (créé cette année), Laird Hunt, rend avec Neverhome, son cinquième roman publié en France,  un vibrant hommage aux femmes confrontées à la violence des hommes et du monde. A lire

NEVERHOME, de Laird Hunt. Éd. Actes Sud. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne-Laure Tissut. 262 p., 22 €

Source : Laird Hunt, Grand prix de littérature américaine pour « Neverhome » | Pages noires

Une anthologie décapante de la littérature féminine américaine

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9782363740625_1_75Ladyland, anthologie de la littérature féminine américaine.

13e Note Édition. 494 p., 24, 95 €

13 E Note : J’adore cette collection. Le titre, le graphisme, le format, l’odeur et les sujets traités. Des sujets, comment dire, jamais très évidents à aborder, avec beaucoup d’auteurs et personnages borderline, « déjantés », paumés, à la marge…

Je trouve cette collection courageuse à une époque ou les lecteurs se font de plus en plus rares. Ladyland est un exemple parfait pour illustrer mon propos. Il s’agit d’une anthologie de la littérature féminine.

Persuadé qu’en tant qu’homme j’allais en prendre pour mon grade, mon premier réflexe a été de me dire que ce n’était pas pour moi. Mais intrigué, curieux, j’ai commencé à le feuilleter. M’arrêtant ici ou là, sur un titre de nouvelle comme celui de Lisa Carver : La drogue c’est cool ; Les joies de la maternité, de Lydia Lunch ; Camping à Amsterdam de Tamara Madison ; Pour l’amour des Who, de Mende Smith…

Accroché par les trombines et les bios très courtes de ces auteures, les premières phrases de leurs nouvelles, je me suis laissé embarquer pour un voyage réaliste, intenses et anticonformistes. Ladyland est un recueil de nouvelles, de poésie, d’anecdotes personnelles avec en bonus un petit historique sur le féminisme américain et français.

Autant prévenir, les auteures présentées ne font pas dans la dentelle : il y est beaucoup question de prostitution, striptease, drogue, homosexualité, guerre des sexes, amour et mort… C’est souvent cru, glauque, provoquant… mais très souvent remarquablement écrit et bouleversant de réalisme.

 

Alceste à pied au Texas, chronique sur rails

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Avec ce livre tendre et drôle, que j’ai  chroniqué cette semaine dans La Croix,  l’auteur clôt en beauté une trilogie entamée en 1966 avec «La Dernière Séance», et «Texasville» en 1987.  (1)  La lecture de ce petit bijou dans la train m’a procuré un grand moment de bonheur pendant lequel j’ai oublié tout ce qui m’entourait.

McMurtry-CeriseDUANE EST DÉPRESSIF 
de Larry McMurtry 
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sophie Aslanides  
Éditions Sonatine, 610 p., 22,30 €

Les décisions que nous prenons sont rarement sans conséquences. C’est la surprise que Duane Moore, un Texan de 62 ans, réserve à sa famille lorsqu’il décide, un jour, sans crier gare, de bouleverser son mode de vie en abandonnant son pick-up pour désormais se déplacer exclusivement à pied : «Lorsqu’il était à l’intérieur, il n’avait de cesse de se demander ce qu’il avait fait de sa foutue vie, et cette question désormais le hantait. Il avait fini par se rendre compte de façon insidieuse, comme une fuite de gaz infiltrée dans sa conscience, que la plupart de ses souvenirs, de son premier flirt jusqu’à cet après-midi d’hiver, au seuil de sa vieillesse, étaient reliées à cet engin.»

Conséquences d’une décision

Se doute-t-il des conséquences d’une telle décision ? C’est le cadet de ses soucis. Voilà des années qu’il fait ce qu’on attend de lui sans sourciller et que les autres, en particulier ses proches, lui imposent quotidiennement leurs problèmes. Désormais Duane n’aspire plus qu’à une chose : se débarrasser du superflu et vivre.

Pour ce faire, il quitte le foyer familial et s’installe dans une cabane sans confort, avec un chien dont il apprécie la présence «car il n’a aucune exigence» : «Ce n’était pas qu’il était temps de changer, c’était tout simplement qu’il avait changé. (…) Il n’était pas devenu un homme différent, mais lorsqu’il était sorti de sa maison, il s’était aussitôt trouvé dans une vie différente.»

Personne ne comprend son attitude

Autour de lui, personne ne comprend son attitude. Son comportement intrigue les habitants de Thalia, bourgade rurale, puritaine, perdue au cœur des champs pétrolifères texans. D’autant plus quand on sait que le pick-up dans cette région est l’un des premiers biens que l’on acquiert dans la vie et que personne ne marche à moins d’y être forcé.

Lorsqu’il cède la direction de son entreprise à son fils toxicomane, qu’il se met à s’intéresser à la botanique, entreprend de nettoyer la nature et de lire de la littérature, il ne fait aucun doute que Duane est très malade.

Karla, sa femme depuis quarante ans, exaspérante et attachante, est persuadée qu’il la trompe. Elle passe ses journées à le suivre à la trace, espionnant ses moindres faits et gestes. Totalement dépassée par la situation, elle demande l’avis de ses amies, ce qui donne une galerie de petits portraits et dialogues inoubliables.

Lonesome Dove, Pulitzer en 1986

L’auteur de Lonesome Dove, prix Pulitzer en 1986 (Gallmeister, 2011), signe ici un roman rafraîchissant, intelligent, fin, étonnant, drôle, tendre, dont on savoure chaque ligne.

Une critique efficace de la société texane, de l’étroitesse d’esprit, du manque de culture, sans jamais être blessant ou donneur de leçon. Le tout invite a une réflexion sur le sens de nos existences, les rapports avec nos enfants, nos conjoints, nos proches.

(1) Publiés tous deux aux éditions Gallmeister respectivement en 2011 et 2012.

D’autres chroniques de livres sont disponibles sur le blog de polars que j’anime avec deux collègues :  http://polar.blogs.la-croix.com