Salon grands voyageurs de la gare de Lyon à Paris. 18 H 45. Ce soir, les places sont rares. Le va-et-vient est permanent. Essentiellement des cadres d’entreprises. Il y ceux et celles qui font la queue pour aller aux toilettes, ceux et celles devant le distributeur de boissons gratuites et le présentoir à magazines.
Avachi dans un fauteuil, le dos au mur, bien calé par un moelleux petit coussin, j’observe tout ce beau monde plein de d’assurance et de suffisance parfois, en sirotant un thé. Deux très jolies jeunes filles aux sourires professionnels sont à l’accueil. La première vous souhaite « bienvenue » après avoir vérifié votre carte d’abonnement, la seconde « bon voyage » lorsque vous partez. Une femme de ménage d’origine pakistanaise, slalome en s’excusant entre les uns et les autres ramassant les gobelets, journaux et autres déchets.
A ma gauche, une place se libère. Une petite femme d’une quarantaine d’années aux longs cheveux blonds, sportive, élégante, décontractée et délicatement parfumée, s’installe. Elle croise et décroise les jambes, se redresse dans son siège, soupir en dégainant son téléphone portable. Lit quelques SMS. Le dernier la fait sourire. De ses doigts aux ongles vernis, elle pianote un numéro avec empressement.
Quelques instants d’attente et son visage s’illumine. Allo ? C’est moi. Ca va? (silence complice) Je suis épuisée… susurre t-elle. Mon responsable m’a proposé une mission qui me tente… Non. (Silence entendu) Oui. Toi aussi tu me manques. J’arrive à 23 heures 30. Oui… ( Silence complice); Non j’ai acheté de quoi mangé, ne m’attends pas… Tu es trop mignon…. Oui moi aussi, chuchote-t-elle… Demain je bosserai de la maison… (Silence inquiet) Pourquoi me demandes-tu cela?
Son vissage jusqu’à cet instant souriant et enjôleur, se crispe. Deux plis d’amertume se forment de chaque côté de sa bouche, son corps se raidit, elle observe le revers et l’intérieur de sa main libre.
Non, Gérôme, je ne peux pas… (silence pesant) Je comprends pas… Tu comptais sur moi?… Quel est le montant de cette facture ? Et pourquoi, ce serait à moi de payer ? Je peux pas.. Certes, j’ai eu une prime mais je mets cet argent de côté. Je n’y touche pas. Et je ne peux pas payer ce mois-ci. Tu exagères. Non. On en parlera plus tard. Je suis épuisée. Tu choisis toujours les mauvais moments pour aborder ces sujets. Tu me gonfle. Elle raccroche, le visage définitivement fermé. Elle rassemble ses affaires et prend la direction des quais… répondant, d’un regard vide au « bon voyage » de l’une des hôtesses…